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QUATRIÈME LIVRE,
SCÈNES DE LA VIE POLITIQUE.

UN ÉPISODE SOUS LA TERREUR.


À MONSIEUR GUYONNET-MERVILLE.

Ne faut-il pas, cher et ancien patron, expliquer aux gens curieux de tout connaître, où j’ai pu savoir assez de procédure pour conduire les affaires de mon petit monde, et consacrer ici la mémoire de l’homme aimable et spirituel qui disait à Scribe, autre clerc-amateur, « Passez donc à l’Étude, je vous assure qu’il y a de l’ouvrage » en le rencontrant au bal ; mais avez-vous besoin de ce témoignage public pour être certain de l’affection de l’auteur ?

De Balzac.

Le 22 janvier 1793, vers huit heures du soir, une vieille dame descendait, à Paris, l’éminence rapide qui finit devant l’église Saint-Laurent, dans le faubourg Saint-Martin. Il avait tant neigé pendant toute la journée, que les pas s’entendaient à peine. Les rues étaient désertes. La crainte assez naturelle qu’inspirait le silence s’augmentait de toute la terreur qui faisait alors gémir la France ; aussi la vieille dame n’avait-elle encore rencontré personne ; sa vue affaiblie depuis longtemps ne lui permettait pas d’ailleurs d’apercevoir dans le lointain, à la lueur des lanternes, quelques passants clair-semés comme des ombres dans l’immense voie de ce faubourg. Elle allait courageusement seule à travers cette solitude, comme si son âge était un talisman qui dût la préserver de tout malheur. Quand elle eut dépassé la rue des Morts, elle crut distinguer le pas lourd et ferme d’un homme qui marchait derrière elle. Elle s’imagina qu’elle n’entendait pas ce bruit pour la première fois ; elle s’effraya d’avoir été suivie, et tenta d’aller