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— Oui, je sais qu’il faut une sorte de goût, répliqua Gazonal.

— Mais taisez-vous donc, monsieur, j’attendais mieux de vous. C’est-à-dire qu’un coiffeur, je ne dis pas un bon coiffeur, car on est ou l’on n’est pas coiffeur… un coiffeur… c’est plus difficile à trouver… que… qu’est-ce que je dirai bien ?… qu’un… je ne sais pas quoi… un ministre… (restez en place) non, car on ne peut pas juger de la valeur d’un ministre, les rues sont pleines de ministres… un Paganini… non, ce n’est pas assez ! Un coiffeur, monsieur, un homme qui devine votre âme et vos habitudes, afin de vous coiffer à votre physionomie, il lui faut ce qui constitue un philosophe. Et les femmes donc !… Tenez, les femmes nous apprécient, elles savent ce que nous valons… nous valons la conquête qu’elles veulent faire le jour où elles se font coiffer pour remporter un triomphe… c’est-à-dire qu’un coiffeur… On ne sait pas ce que c’est. Tenez, moi qui vous parle, je suis à peu près ce qu’on peut trouver de… sans me vanter, on me connaît… Eh ! bien, non, je trouve qu’il doit y avoir mieux… L’exécution, voilà la chose ! Ah ! si les femmes me donnaient carte blanche, si je pouvais exécuter tout ce qui me vient d’idées… c’est que j’ai, voyez-vous, une imagination d’enfer !… mais les femmes ne s’y prêtent pas, elles ont leurs plans, elles vous fourrent des coups de doigts ou de peigne, quand vous êtes parti, dans nos délicieux édifices qui devraient être gravés et recueillis, car nos œuvres, monsieur, ne durent que quelques heures… Un grand coiffeur, hé ! ce serait quelque chose comme Carême et Vestris, dans leurs parties…( — Par ici la tête, là, s’il vous plaît, je fais les faces, bien.) Notre profession est gâtée par des massacres qui ne comprennent ni leur époque ni leur art… Il y a des marchands de perruques ou d’essences à faire pousser les cheveux… ils ne voient que des flacons à vous vendre !… cela fait pitié !… c’est du commerce. Ces misérables coupent les cheveux ou ils coiffent comme ils peuvent… Moi, quand je suis arrivé de Toulouse ici, j’avais l’ambition de succéder au grand Marius, d’être un vrai Marius, et d’illustrer le nom, à moi seul, plus que les quatre autres. Je me suis dit : vaincre ou mourir… ( — Là ! tenez-vous droit, je vais vous achever.) C’est moi qui, le premier, ai fait de l’élégance. J’ai rendu mes salons l’objet de la curiosité. Je dédaigne l’annonce, et ce que coûte l’annonce, je le mettrai, monsieur, en bien-être, en agrément. L’année prochaine, j’aurai dans un petit salon un quatuor, on fera de la musique et de la meilleure. Oui, il faut charmer les ennuis de ceux que