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En passant devant la loge, Gazonal aperçut mademoiselle Lucienne Ravenouillet qui tenait à la main un solfége, elle était élève du Conservatoire ; le père lisait un journal, et madame Ravenouillet tenait à la main des lettres à monter pour les locataires.

— Merci, monsieur Bixiou ! dit la petite.

— Ce n’est pas un rat, dit Léon à son cousin, c’est une larve de cigale.

— Il paraît qu’on obtient, dit Gazonal, l’amitié de la loge, comme celle de tout le monde, par les loges…

— Se forme-t-il dans notre société ? s’écria Léon charmé du calembour.

— Voici l’histoire de Ravenouillet, reprit Bixiou quand les trois amis se trouvèrent sur le Boulevard. En 1831, Massol, votre Conseiller-d’État, était un avocat-journaliste qui ne voulait alors être que garde des sceaux, il daignait laisser Louis-Philippe sur le trône ; mais il faut lui pardonner son ambition, il est de Carcassonne. Un matin, il voit entrer un jeune pays qui lui dit : – « Vous me connaissez bien, monsu Massol, je suis le petit de votre voisin l’épicier, j’arrive de là-bas, car l’on nous a dit qu’en venant ici chacun trouvait à se placer… » En entendant ces paroles, Massol fut pris d’un frisson, et se dit en lui-même que, s’il avait le malheur d’obliger ce compatriote, à lui d’ailleurs parfaitement inconnu, tout le Département allait tomber chez lui, qu’il y perdrait beaucoup de mouvements de sonnette, onze cordons, ses tapis, que son unique valet le quitterait, qu’il aurait des difficultés avec son propriétaire relativement à l’escalier, et que les locataires se plaindraient de l’odeur d’ail et de diligence répandus dans la maison. Donc, il regarda le solliciteur comme un boucher regarde un mouton avant de l’égorger ; mais quoique le pays eut reçu ce coup d’œil ou ce coup de poignard, il reprit ainsi, nous dit Massol : « – J’ai de l’ambition tout comme un autre, et je ne veux retourner au pays que riche, si j’y retourne ; car Paris est l’antichambre du Paradis. On dit que vous, qui écrivez dans les journaux, vous faites ici la pluie et le beau temps, qu’il vous suffit de demander pour obtenir n’importe quoi dans le gouvernement ; mais, si j’ai des facultés, comme nous tous, je me connais, je n’ai pas d’instruction ; si j’ai des moyens, je ne sais pas écrire, et c’est un malheur, car j’ai des idées ; je ne pense donc pas à vous faire concurrence, je me juge, je ne réussirais point ; mais, comme vous