Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gras, il est soigneux de sa personne, son front se dégarnit ; mais il aide à cette calvitie pour se donner l’air d’un homme dévoré par la pensée. On voit à la manière dont le regarde et l’écoute sa femme, qu’elle croit au génie et à l’illustration de son mari. Vital aime les artistes, non qu’il sente les arts, mais par confraternité ; car il se croit un artiste et le fait pressentir en se défendant de ce titre de noblesse, en se mettant avec une constante préméditation à une distance énorme des arts pour qu’on lui dise : « Mais vous avez élevé le chapeau jusqu’à la hauteur d’une science. »

— M’avez-vous enfin trouvé mon chapeau ? dit le paysagiste.

— Comment, monsieur, en quinze jours ? répondit Vital, et pour vous !… Mais sera-ce assez de deux mois pour rencontrer la forme qui convient à votre physionomie ? Tenez, voici votre lithographie, elle est là, je vous ai déjà bien étudié ! Je ne me donnerais pas tant de peine pour un prince ; mais vous êtes plus, vous êtes un artiste ! et vous me comprenez, mon cher monsieur.

— Voici l’un de nos plus grands inventeurs, un homme qui serait grand comme Jacquart s’il voulait se laisser mourir un petit peu, dit Bixiou en présentant Gazonal. Notre ami, fabricant de drap, a découvert le moyen de retrouver l’indigo des vieux habits bleus, et il voulait vous voir comme un grand phénomène, car vous avez dit : Le chapeau, c’est l’homme. Cette parole a ravi monsieur. Ah ! Vital, vous avez la foi ! vous croyez à quelque chose, vous vous passionnez pour votre œuvre.

Vital écoutait à peine, il était devenu pâle de plaisir.

— Debout, ma femme !… Monsieur est un prince de la science.

Madame Vital se leva sur un geste de son mari, Gazonal la salua.

— Aurais-je l’honneur de vous coiffer ? reprit Vital avec une joyeuse obséquiosité.

— Au même prix que pour moi, dit Bixiou.

— Bien entendu, je ne demande pour tout honoraire que le plaisir d’être quelquefois cité par vous, messieurs ! Il faut à monsieur un chapeau pittoresque, dans le genre de celui de monsieur Lousteau, dit-il en regardant Bixiou d’un air magistral. J’y songerai.

— Vous vous donnez bien de la peine, dit Gazonal.

— Oh ! pour quelques personnes seulement, pour celles qui savent apprécier le prix de mes soins. Tenez, dans l’aristocratie,