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l’entendement ce coup de cloche qui vous annonce un malheur. Un soir Maxime se mit dans le second salon obscur, autour duquel étaient placés les rayons de la bibliothèque. Après avoir examiné par une fente entre deux rideaux verts les sept ou huit habitués du salon, il jaugea d’un regard l’âme du petit carrossier ; il en évalua la passion, et fut très satisfait de savoir qu’au moment où sa fantaisie serait passée un avenir assez somptueux ouvrirait à commandement ses portières vernies à Antonia. — « Et celui-là, dit-il en désignant le gros et beau vieillard décoré de la Légion-d’Honneur, qui est-ce ? — Un ancien directeur des douanes. — Il est d’un galbe inquiétant ! » dit Maxime en admirant la tenue du sieur Denisart. En effet, cet ancien militaire se tenait droit comme un clocher, sa tête se recommandait à l’attention par une chevelure poudrée et pommadée, presque semblable à celle des postillons au bal masqué. Sous cette espèce de feutre moulé sur une tête oblongue se dessinait une vieille figure, administrative et militaire à la fois, mimée par un air rogue, assez semblable à celle que la Caricature a prêtée au Constitutionnel. Cet ancien administrateur, d’un âge, d’une poudre, d’une voussure de dos à ne rien lire sans lunettes, tendait son respectable abdomen avec tout l’orgueil d’un vieillard à maîtresse, et portait à ses oreilles des boucles d’or qui rappelaient celles du vieux général Montcornet, l’habitué du Vaudeville. Denisart affectionnait le bleu : son pantalon et sa vieille redingote, très-amples, étaient en drap bleu. — Depuis quand vient ce vieux-là ? demanda Maxime à qui les lunettes parurent d’un port suspect. — Oh ! dès le commencement, répondit Antonia, voici bientôt deux mois… — Bon, Cérizet n’est venu que depuis un mois, se dit Maxime en lui-même… Fais-le donc parler ? dit-il à l’oreille d’Antonia, je veux entendre sa voix. — Bah ! répondit-elle, ce sera difficile, il ne me dit jamais rien. — Pourquoi vient-il alors ?… demanda Maxime. — Par une drôle de raison, répliqua la belle Antonia. D’abord il a une passion, malgré ses soixante-neuf ans ; mais, à cause de ses soixante-neuf ans, il est réglé comme un cadran. Ce bonhomme-là va dîner chez sa passion, rue de la Victoire, à cinq heures, tous les jours… en voilà une malheureuse ! il sort de chez elle à six heures, vient lire pendant quatre heures tous les journaux, et il y retourne à dix heures. Le papa Croizeau dit qu’il connaît les motifs de la conduite de monsieur Denisart, il l’approuve ; et, à sa place, il agira de même. Ainsi, je connais mon avenir ! Si jamais je deviens madame