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cher, me dit-il, voilà la vie : des oppositions, des contrastes ! — Surtout quand ce n’est pas joué ! répondis-je. — Je l’entends bien ainsi, reprit-il. Mais sans ces violentes émotions, on mourrait d’ennui ! Ah ! cette femme a le don de m’émouvoir ! » Après le dîner nous allâmes aux Variétés ; mais, avant le départ, je me glissai dans l’appartement de du Bruel, j’y pris sur une planche, parmi des papiers sacrifiés, le numéro des Petites Affiches où se trouvait la notification du contrat de l’hôtel acheté par du Bruel, exigée pour la purge légale. En lisant ces mots qui me sautèrent aux yeux comme une lueur : À la requête de Jean-François du Bruel et de Claudine Chaffaroux, son épouse, tout fut expliqué pour moi. Je pris le bras de Claudine et j’affectai de laisser descendre tout le monde avant nous. Quand nous fûmes seuls : — « Si j’étais la Palferine, lui dis-je, je ne ferais jamais manquer de rendez-vous ! » Elle se posa gravement un doigt sur les lèvres, et descendit en me pressant le bras, elle me regardait avec une sorte de plaisir en pensant que je connaissais la Palferine. Savez-vous quelle fut sa première idée ? Elle voulut faire de moi son espion ; mais elle rencontra le badinage de la Bohême. Un mois après, au sortir d’une première représentation d’une pièce de du Bruel, il pleuvait, nous étions ensemble, j’allai chercher un fiacre. Nous étions restés, pendant quelques instants, sur le théâtre, et il ne se trouvait plus de voitures à l’entrée. Claudine gronda fort du Bruel ; et quand nous roulâmes, car elle me reconduisit chez Florine, elle continua la querelle en lui disant les choses les plus mortifiantes. — « Eh ! bien, qu’y a-t-il ? demandai-je. — Mon cher, elle me reproche de vous avoir laissé courir après le fiacre, et part de là pour vouloir désormais un équipage. — Je n’ai jamais, étant Premier Sujet, fait usage de mes pieds que sur les planches, dit-elle. Si vous avez du cœur, vous inventerez quatre pièces de plus par an, vous songerez qu’elles doivent réussir en songeant à la destination de leur produit, et votre femme n’ira pas dans la crotte. C’est une honte que j’aie à le demander. Vous auriez dû deviner mes perpétuelles souffrances depuis cinq ans que me voici mariée ! — Je le veux bien, répondit du Bruel, mais nous nous ruinerons. — Si vous faites des dettes, répondit-elle, la succession de mon oncle les paiera. — Vous êtes bien capable de me laisser les dettes et de garder la succession. — Ah ! vous le prenez ainsi, répondit-elle. Je ne vous dis plus rien. Un pareil mot me ferme la bouche. » Aussitôt du Bruel