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faire ma volonté ! » Au lieu d’aller prévenir ses amis, Cursy resta sur le boulevard, arpentant l’asphalte depuis la rue de Richelieu jusqu’à la rue du Mont-Blanc, en se livrant aux plus furieuses imprécations et aux exagérations les plus comiques. Il était dans la rue en proie à un paroxysme de colère qui contrastait avec son calme à la maison. Sa promenade servit à user la trépidation de ses nerfs et la tempête de son âme. Vers deux heures, dans un de ses mouvements désordonnés, il s’écria : — « Ces damnées femelles ne savent ce qu’elles veulent. Je parie ma tête à couper que, si je retourne chez moi lui dire que j’ai prévenu mes amis et que nous dînons au Rocher de Cancale, cet arrangement demandé par elle ne lui conviendra plus. Mais, me dit-il, elle aura décampé. Peut-être y a-t-il là-dessous un rendez-vous avec quelque barbe de bouc ! Non, car elle m’aime au fond ! »

— Ah ! madame, dit Nathan en regardant d’un air fin la marquise, qui ne put s’empêcher de sourire, il n’y a que les femmes et les prophètes qui sachent faire usage de la Foi.

— Du Bruel, reprit-il, me ramena chez lui, nous y allâmes lentement. Il était trois heures. Avant de monter, il vit du mouvement dans la cuisine, il y entre, voit des apprêts et me regarde en interrogeant sa cuisinière. — « Madame a commandé un dîner, répondit-elle, madame est habillée, elle a fait venir une voiture, puis elle a changé d’avis, elle a renvoyé la voiture en la redemandant pour l’heure du spectacle. — Hé ! bien, s’écria du Bruel, que te disais-je ! » Nous entrâmes à pas de loup dans l’appartement. Personne. De salon en salon, nous arrivâmes jusqu’à un boudoir où nous surprîmes Tullia pleurant. Elle essuya ses larmes sans affectation et dit à du Bruel : — « Envoyez au Rocher de Cancale un petit mot pour prévenir vos invités que le dîner a lieu ici ! » Elle avait fait une de ces toilettes que les femmes de théâtre ne savent pas composer : élégante, harmonieuse de ton et de formes, des coupes simples, des étoffes de bon goût, ni trop chères, ni trop communes, rien de voyant, rien d’exagéré, mot que l’on efface sous le mot artiste avec lequel se paient les sots. Enfin, elle avait l’air comme il faut. À trente-sept ans, Tullia se trouve à la plus belle phase de la beauté chez les Françaises. Le célèbre ovale de son visage était, en ce moment, d’une pâleur divine, elle avait ôté son chapeau ; je voyais le léger duvet, cette fleur des fruits, adoucissant les contours moelleux déjà si fins de sa joue. Sa figure accompa-