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ont mené leur vie de garçon, elles ont des plaisirs par-dessus la tête, et font les femmes les plus adorables qui se puissent désirer : sachant tout, formées et point bégueules, faites à tout, indulgentes. Aussi, prêché-je à tout le monde d’épouser un reste de cheval anglais. Je suis l’homme le plus heureux de la terre ! » Voilà ce que me disait du Bruel à moi-même en présence de Bixiou. — « Mon cher, me répondit le dessinateur, il a peut-être raison d’avoir tort ! » Huit jours après, du Bruel nous avait priés de venir dîner avec lui, un mardi ; le matin j’allai le voir pour une affaire de théâtre, un arbitrage qui nous était confié par la Commission des auteurs dramatiques ; nous étions forcés de sortir ; mais auparavant, il entra dans la chambre de Claudine où il n’entre pas sans frapper, il demanda la permission. — « Nous vivons en grands seigneurs, dit-il en souriant, nous sommes libres. Chacun chez nous ! » Nous fûmes admis. Du Bruel dit à Claudine : — « J’ai invité quelques personnes aujourd’hui. — Vous voilà ! s’écria-t-elle, vous invitez du monde sans me consulter, je ne suis rien ici. Tenez, me dit-elle en me prenant pour juge par un regard, je vous le demande à vous-même, quand on a fait la folie de vivre avec une femme de ma sorte, car enfin, j’étais une danseuse de l’Opéra…. Oui, pour qu’on l’oublie, je ne dois jamais l’oublier moi-même. Eh ! bien, un homme d’esprit, pour relever sa femme dans l’opinion publique, s’efforcerait de lui supposer une supériorité, de justifier sa détermination par la reconnaissance de qualités éminentes chez cette femme ! Le meilleur moyen pour la faire respecter par les autres est de la respecter chez elle, de l’y laisser maîtresse absolue. Ah ! bien, il me donnerait de l’amour-propre à voir combien il craint d’avoir l’air de m’écouter. Il faut que j’aie dix fois raison pour qu’il me fasse une concession. » Chaque phrase ne passait pas sans une dénégation faite par gestes de la part de du Bruel. — « Oh ! non, non, reprit-elle vivement en voyant les gestes de son mari, du Bruel, mon cher, moi qui toute ma vie, avant de vous épouser, ai joué chez moi le rôle de reine, je m’y connais ! Mes désirs étaient épiés, satisfaits, comblés… Après tout, j’ai trente-cinq ans, et les femmes de trente-cinq ans ne peuvent pas être aimées. Oh ! si j’avais et seize ans, et ce qui se vend si cher à l’Opéra, quelles attentions vous auriez pour moi, monsieur du Bruel ! Je méprise souverainement les hommes qui se vantent d’aimer une femme et qui ne sont pas toujours auprès d’elle aux petits soins. Voyez-vous, du Bruel, vous êtes petit et chafouin,