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dans la personne de madame Garat, épouse du Grand-Juge. L’ancienne danseuse avait rompu net, vous le devinez, avec toutes ses camarades : elle ne reconnaissait parmi ses anciennes connaissances personne qui pût la compromettre. En se mariant, elle avait loué, rue de la Victoire, un tout petit charmant hôtel entre cour et jardin où elle fit des dépenses folles, et où s’engouffrèrent les plus belles choses de son mobilier et de celui de du Bruel. Tout ce qui parut ordinaire ou commun fut vendu. Pour trouver des analogies au luxe qui scintillait chez elle, on doit remonter jusqu’aux beaux jours des Guimard, de Sophie Arnoult, des Duthé qui dévorèrent des fortunes princières. Jusqu’à quel point cette riche existence intérieure agissait-elle sur du Bruel ? La question, délicate à poser, est plus délicate à résoudre. Pour donner une idée des fantaisies de Tullia, qu’il me suffise de vous parler d’un détail. Le couvre-pieds de son lit est en dentelle de point d’Angleterre, il vaut dix mille francs. Une actrice célèbre en eut un pareil, Claudine le sut ; dès lors elle fit monter sur son lit un magnifique angora. Cette anecdote peint la femme. Du Bruel n’osa pas dire un mot, il eut ordre de propager ce défi de luxe porté à l’autre. Tullia tenait à ce présent du duc de Réthoré ; mais un jour, cinq ans après son mariage, elle joua si bien avec son chat qu’elle déchira le couvre-pieds, en tira des voiles, des volants, des garnitures, et le remplaça par un couvre-pieds de bon sens, par un couvre-pieds qui était un couvre-pieds et non une preuve de la démence particulière à ces femmes qui se vengent par un luxe insensé, comme a dit un journaliste, d’avoir vécu de pommes crues dans leur enfance. La journée où le couvre-pieds fut mis en lambeaux, marqua, dans le ménage, une ère nouvelle. Cursy se distingua par une féroce activité. Personne ne soupçonne à quoi Paris a dû le Vaudeville Dix-huitième siècle, à poudre, à mouches qui se rua sur les théâtres. L’auteur de ces mille et un vaudevilles, desquels se sont tant plaints les feuilletonistes, est un vouloir formel de madame du Bruel : elle exigea de son mari l’acquisition de l’hôtel où elle avait fait tant de dépenses, où elle avait casé un mobilier de cinq cent mille francs. Pourquoi ? Jamais Tullia ne s’explique, elle entend admirablement le souverain parce que des femmes. — « On s’est beaucoup moqué de Cursy, dit-elle, mais, en définitif, il a trouvé cette maison dans la boîte de rouge, dans la houppe à poudrer et les habits pailletés du dix-huitième