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— « Mon ami, dit-elle avec un son de voix qui trahissait un tremblement intérieur et universel, c’est bien ! Tout cela sera fait, ou je mourrai… » Elle lui baisa la main et y mit quelques larmes de bonheur. — « Je suis heureuse, ajouta-t-elle, que tu m’aies expliqué ce que je dois être pour rester ta maîtresse. — Et, nous disait la Palferine, elle est sortie en me faisant un petit geste coquet de femme contente. Elle était sur le seuil de ma mansarde, grandie, fière, à la hauteur d’une sibylle antique. »

— Tout ceci doit vous expliquer assez les mœurs de la Bohême dont une des plus brillantes figures est ce jeune condottiere, reprit Nathan après une pause. Maintenant voici comme je découvris qui était Claudine, et comment je pus comprendre tout ce qu’il y avait d’épouvantablement vrai dans un mot de la lettre de Claudine auquel vous n’avez peut-être pas pris garde.

La marquise, trop pensive pour rire, dit à Nathan un « Continuez ! » qui lui prouva combien elle était frappée de ces étrangetés, combien surtout la Palferine la préoccupait.

— Parmi tous les auteurs dramatiques de Paris, un des mieux posés, des plus rangés, des plus entendus, était, en 1829, du Bruel, dont le nom est inconnu du public ; il s’appelle de Cursy sur les affiches. Sous la Restauration, il avait une place de Chef de Bureau dans un Ministère. Attaché de cœur à la branche aînée, il donna bravement sa démission, et fit depuis ce temps deux fois plus de pièces de théâtre pour compenser le déficit que sa belle conduite occasionnait dans son budget des recettes. Du Bruel avait alors quarante ans, sa vie vous est connue. A À l’exemple de quelques auteurs, il portait à une femme de théâtre une de ces affections qui ne s’expliquent pas, et qui cependant existent au vu et au su du monde littéraire. Cette femme, vous le savez, est Tullia, l’un des anciens premiers sujets de l’Académie royale de musique. Tullia n’est pour elle qu’un surnom, comme celui de Cursy pour du Bruel. Pendant dix ans, de 1817 à 1827, cette fille a brillé sur les illustres planches de l’Opéra. Plus belle que savante, médiocre sujet, mais un peu plus spirituelle que ne le sont les danseuses, elle ne donna pas dans la réforme vertueuse qui perdit le corps de ballet, elle continua la dynastie des Guimard. Aussi dut-elle son ascendant à plusieurs protecteurs connus, au duc de Réthoré, fils du duc de Chaulieu, à l’influence d’un célèbre directeur des Beaux-Arts, à des diplomates, à de riches étrangers. Elle eut, durant son