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guement expliqué le cas et démontré qu’il faut absolument couper les cheveux pour faire sûrement l’opération : — Couper les cheveux de Claudine ! s’écria-t-il d’une voix péremptoire ; non, j’aime mieux la perdre ! » Bianchon, après quatre ans, parle encore du mot de la Palferine, et nous en avons ri pendant une demi heure. Claudine, instruite de cet arrêt, y vit une preuve d’affection, elle se crut aimée. En face de sa famille en larmes, de son mari à genoux elle fut inébranlable, elle garda ses cheveux. L’opération, secondée par cette force intérieure que lui donnait la croyance d’être aimée, réussit parfaitement. Il y a de ces mouvements d’âme qui mettent en désordre toutes les bricoles de la chirurgie et les lois de la science médicale. Claudine écrivit, sans orthographe, sans ponctuation, une délicieuse lettre à la Palferine pour lui apprendre l’heureux résultat de l’opération, en lui disant que l’amour en savait plus que toutes les sciences. — « Maintenant, nous disait un jour la Palferine, comment faire pour me débarrasser de Claudine ? — Mais elle n’est pas gênante, elle te laisse maître de tes actions. — C’est vrai, dit la Palferine, mais je ne veux pas qu’il y ait dans ma vie quelque chose qui s’y glisse sans mon consentement. » Dès ce jour il se mit à tourmenter Claudine, il avait dans la plus profonde horreur une bourgeoise, une femme sans nom ; il lui fallait absolument une femme titrée, elle avait fait des progrès, c’est vrai, Claudine était mise comme les femmes les plus élégantes du faubourg Saint-Germain, elle avait su sanctifier sa démarche, elle marchait avec une grâce chaste, inimitable, mais ce n’était pas assez ! Ces éloges faisaient tout avaler à Claudine. — « Eh ! bien, lui dit un jour la Palferine, si tu veux rester la maîtresse d’un la Palferine pauvre sans le sou, sans avenir, au moins dois-tu le représenter dignement. Tu dois avoir un équipage, des laquais, une livrée, un titre. Donne-moi toutes les jouissances de vanité que je ne puis pas avoir par moi-même. La femme que j’honore de mes bontés ne doit jamais aller à pied, si elle est éclaboussée, j’en souffre ! Je suis fait comme cela, moi ! Ma femme doit être admirée de tout Paris. Je veux que tout Paris m’envie mon bonheur ! Qu’un petit jeune homme voyant passer dans un brillant équipage une brillante comtesse, se dise : À qui sont de pareilles divinités ? et reste pensif. Cela doublera mes plaisirs. » La Palferine nous avoua qu’après avoir lancé ce programme à la tête de Claudine pour s’en débarrasser, il fut étourdi pour la première et sans doute pour la seule fois de sa vie.