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où je me trouve, il me semble que je suis toujours en votre présence, et je veux vous faire honneur.

Tout ce que vous m’avez dit sur ma manière de me mettre m’a frappée et m’a fait comprendre combien les gens de race noble sont supérieurs aux autres ! Il me restait quelque chose de la fille d’Opéra dans la coupe de mes robes, dans mes coiffures. En un moment, j’ai reconnu la distance qui me séparait du bon goût. La première fois, vous recevrez une duchesse, vous ne me reconnaîtrez pas. Oh ! combien tu as été bon pour ta Claudine ! combien de fois je t’ai remercié de m’avoir dit tout cela ! Quel intérêt dans ce peu de paroles ! Tu t’es donc occupé de cette chose à toi qui se nomme Claudine ? Ce n’est pas cet imbécile qui m’aurait éclairée, il trouve bien tout ce que je fais, il est d’ailleurs bien trop pot-au-feu, trop prosaïque pour avoir le sens du beau. Mardi va bien tarder à mon impatience ! Mardi, près de vous pendant plusieurs heures ! Ah ! je m’efforcerai mardi de penser que ces heures sont des mois, et que je suis ainsi toujours. Je vis en espoir dans cette matinée comme je vivrai plus tard quand elle sera passée par le souvenir. L’espoir est une mémoire qui désire, le souvenir est une mémoire qui a joui. Quelle belle vie dans la vie nous fait ainsi la pensée ! je songe à inventer des tendresses qui ne seront qu’à moi, dont le secret ne sera deviné par aucune femme. Il me prend des sueurs froides qu’il n’arrive un empêchement. Oh ! je briserais net avec lui, s’il le fallait ; mais ce n’est pas d’ici que jamais viendra l’empêchement, c’est de toi, tu pourras vouloir aller dans le monde, chez une autre femme peut-être. Oh ! grâce pour ce mardi ! Si tu me l’enlevais, Charles, tu ne sais pas tout ce que tu lui vaudrais, je le rendrais fou. Si tu ne voulais pas de moi, si tu allais dans le monde, laisse-moi venir tout de même, te voir habiller, rien que te voir, je n’en demande pas davantage, laisse-moi te prouver ainsi combien je t’aime purement ! Depuis que tu m’as permis de t’aimer, car tu me l’as permis puisque je suis à toi ; depuis ce jour, je t’aime de toute la puissance de mon âme, et je t’aimerai toujours : car, après t’avoir aimé, on ne peut plus, on ne doit plus aimer personne. Et, vois-tu, quand tu te verras sous un regard qui ne veut que voir, tu sentiras qu’il y a chez ta Claudine quelque chose de divin que tu y as éveillé. Hélas ! je ne suis point coquette avec toi ; je suis comme une mère avec