Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 12.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Et ta Claudine ? — Toujours Claudine ? chanté sur l’air de Toujours Gessler ! de Rossini, etc. — Je vous souhaite, pour le mal que je vous veux, nous dit un jour la Palferine, une semblable maîtresse. Il n’y a pas de lévrier, de basset, de caniche qui lui soit comparable pour la douceur, la soumission, la tendresse absolue. Il y a des moments où je me fais des reproches, où je me demande compte à moi-même de ma dureté, Claudine obéit avec une douceur de sainte. Elle vient, je la renvoie, elle s’en va, elle ne pleure que dans la cour. Je ne veux pas d’elle pendant une semaine, je lui assigne le mardi suivant, à certaine heure, fût-ce minuit ou six heures du matin, dix heures ou cinq heures, les moments les plus incommodes, celui du déjeuner, du dîner, du lever, du coucher… Oh ! elle viendra belle, parée, ravissante, à cette heure, exactement ! Et elle est mariée ! entortillée dans les obligations et les devoirs d’une maison. Les ruses qu’elle doit inventer, les raisons à trouver pour se conformer à mes caprices nous embarrasseraient, nous autres !… Rien ne la lasse, elle tient bon ! Je le lui dis, ce n’est pas de l’amour, c’est de l’entêtement. Elle m’écrit tous les jours, je ne lis pas ses lettres, elle s’en est aperçue, elle écrit toujours ! Tenez, voilà deux cents lettres dans ce coffre. Elle me prie de prendre chaque jour une de ses lettres pour essuyer mes rasoirs, et je n’y manque pas ! Elle croit, avec raison, que la vue de son écriture me fait penser à elle. » La Palferine s’habillait en nous disant cela, je pris la lettre dont il allait se servir, je la lus et la gardai sans qu’il la réclamât ; la voici, car, selon ma promesse, je l’ai retrouvée :

« Lundi, minuit.

« Eh ! bien, mon ami, êtes-vous content de moi ? Je ne vous ai pas demandé cette main, qu’il vous eût été facile de me donner et que je désirais tant de presser sur mon cœur, sur mes lèvres. Non, je ne vous l’ai pas demandée, je crains trop de vous déplaire. Savez-vous une chose ? Bien que je sache cruellement que mes actions vous sont parfaitement indifférentes, je n’en deviens pas moins d’une extrême timidité dans ma conduite. La femme qui vous appartient, à quelque titre que ce soit et bien que très-secrètement, doit éviter d’encourir le plus léger blâme. En ce qui est des anges du ciel, pour lesquels il n’y a pas de secret, mon amour est égal aux plus purs amours ; mais partout