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du cœur, une combinaison du sentiment de l’infini qui est en nous et du beau idéal qui se révèle sous une forme visible. Enfin cet amour embrasse à la fois la créature et la création. Tant qu’il ne s’agit pas de ce grand poëme, on ne peut traiter qu’en plaisantant des amours qui doivent finir, en faire ce que sont en littérature les poésies légères comparées au poëme épique. Charles-Édouard n’éprouva dans cette liaison ni ce coup de foudre qui annonce ce véritable amour ni la lente révélation des attraits, la reconnaissance des qualités secrètes qui attachent deux êtres par une puissance croissante. L’amour vrai n’a que ces deux modes. Ou la première vue, qui sans doute est un effet de la seconde vue écossaise, ou la graduelle fusion des deux natures, qui réalise l’androgyne platonique. Mais Charles-Édouard fut aimé follement. Cette femme éprouvait l’amour complet, idéal et physique, enfin la Palferine fut sa vraie passion à elle. Pour lui, Claudine n’était qu’une délicieuse maîtresse. Le diable avec son enfer, qui certes est un puissant magicien, n’aurait jamais pu changer le système de ces deux caloriques inégaux. J’ose affirmer que Claudine ennuyait souvent Charles-Édouard. — « Au bout de trois jours, la femme qu’on n’aime pas et le poisson gardé sont bons à jeter par la fenêtre, » nous disait-il. En Bohême, le secret s’observe peu sur les amours légères. La Palferine nous parla souvent de Claudine, néanmoins personne de nous ne la vit et jamais son nom de femme ne fut prononcé. Claudine était presque un personnage mythique. Nous en agissions tous de même, conciliant ainsi les exigences de notre vie en commun et les lois du bon goût. Claudine, Hortense, la Baronne, la Bourgeoise, l’impératrice, la Lionne, l’Espagnole étaient des rubriques qui permettaient à chacun d’épancher ses joies, ses soucis, ses chagrins, ses espérances, et de communiquer ses découvertes. On n’allait pas au delà. Il y a exemple, en Bohême, d’une révélation faite par hasard de la personne dont il était question ; aussitôt, par un accord unanime, aucun de nous ne parla plus d’elle. Ce fait peut indiquer combien la jeunesse a le sens des vraies délicatesses. Quelle admirable connaissance ont les gens de choix des limites où doivent s’arrêter la raillerie et ce monde de choses françaises désigné sous le mot soldatesque de blague, mot qui sera repoussé de la langue, espérons-le, mais qui seul peut faire comprendre l’esprit de la Bohême ! Nous plaisantions donc souvent sur Claudine et sur le comte. C’était des : — « Que fais-tu de Claudine ?