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pour charmer les marmitons. Encore la plaisanterie de Charles-Édouard est-elle moins âcre. Je ne sais si les Romains, si les Grecs ont connu ce genre d’esprit. Peut-être Platon, en y regardant bien, en a-t-il approché, mais du côté sévère et musical…

— Laissez ce jargon, dit la marquise, cela peut s’imprimer, mais m’en écorcher les oreilles est une punition que je ne mérite point.

— Voici comment il fit la rencontre de Claudine, reprit Nathan. Un jour, un de ces jours inoccupés où la jeunesse se trouve à charge à elle-même, et comme Blondet sous la Restauration, ne sort de son énergie et de l’abattement auquel la condamnent d’outrecuidants vieillards que pour mal faire, pour entreprendre de ces énormes bouffonneries qui ont leur excuse dans l’audace même de leur conception, la Palferine errait le long de sa canne, sur le même trottoir, entre la rue de Grammont et la rue Richelieu. De loin, il voit une femme, une femme mise trop élégamment, et, comme il le dit, garnie d’effets trop coûteux et portés trop négligemment pour n’être pas une princesse de la Cour ou de l’Opéra ; mais, après juillet 1830, selon lui l’équivoque est impossible, la princesse devait être de l’Opéra. Le jeune comte se met aux côtés de cette femme, comme s’il lui avait donné un rendez-vous ; il la suit avec une opiniâtreté polie, avec une persistance de bon goût, en lui lançant des regards pleins d’autorité, mais à propos, et qui forcèrent cette femme à se laisser escorter. Un autre eût été glacé par l’accueil, déconcerté par les premiers chassez-croisez de la femme, par le froid piquant de son air, par des mots sévères ; mais la Palferine lui dit de ces mots plaisants contre lesquels ne tient aucun sérieux, aucune résolution. Pour se débarrasser de lui, l’inconnue entre chez sa marchande de modes, Charles-Édouard y entre, il s’assied, il donne son avis, il la conseille en homme prêt à payer. Ce sang-froid inquiète la femme, elle sort. Sur l’escalier, l’inconnue dit à la Palferine, son persécuteur : — « Monsieur, je vais chez une parente de mon mari, une vieille dame, madame de Bonfalot… — Oh ! madame de Bonfalot ? répond le comte, mais je suis charmé, j’y vais… » Le couple y va. Charles-Édouard entre avec cette femme, on le croit amené par elle, il se mêle à la conversation, il y prodigue son esprit fin et distingué. La visite traînait en longueur. Ce n’était pas son compte. — « Madame, dit-il à l’inconnue, n’oubliez pas que votre mari nous attend, il ne nous a donné qu’un quart d’heure. » Confondue par cette audace, qui, vous le