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voiture pour courir ainsi la ville ? — Oh ! non, » répondit-il. Sur ce mot, la Palferine et l’ami qui se trouvait avec lui accompagnent le pauvre homme, descendent et le forcent à monter en voiture, car il pleuvait à torrents. La Palferine avait tout calculé. Il offrit de conduire l’employé là où l’employé allait. Quand le distributeur des aumônes eut fini sa nouvelle visite, il retrouva l’équipage à la porte. Le laquais lui remit ce mot écrit au crayon : La voiture est payée pour trois jours par le comte Rusticoli de la Palferine, trop heureux de s’unir aux charités de la Cour en donnant des ailes à ses bienfaits. La Palferine appelle maintenant la Liste civile une Liste incivile. Il fut passionnément aimé d’une femme dont la conduite était un peu légère. Antonia demeurait rue de Helder, et y était remarquée. Mais, dans le temps où elle connut le comte, elle n’avait pas encore été à pied. Elle ne manquait pas de cette impertinence d’autrefois que les femmes d’aujourd’hui ont ravalée jusqu’à l’insolence. Après quinze jours d’un bonheur sans mélange, cette femme fut obligée de revenir, dans les intérêts de sa liste civile, à un système de passion moins exclusive. En s’apercevant qu’on manquait de franchise avec lui, la Palferine écrivit à madame Antonia cette lettre qui la rendit célèbre.

« Madame,

Votre conduite m’étonne autant qu’elle m’afflige. Non contente de me déchirer le cœur par vos dédains, vous avez l’indélicatesse de me retenir une brosse à dents, que mes moyens ne me permettent pas de remplacer, mes propriétés étant grevées d’hypothèques au delà de leur valeur.

Adieu, trop belle et trop ingrate amie ! Puissions-nous nous revoir dans un monde meilleur !

Charles-Édouard. »

Assurément (toujours en nous servant du style macaronique de monsieur Sainte-Beuve), ceci surpasse de beaucoup la raillerie de Sterne dans le Voyage sentimental, ce serait Scarron sans sa grossièreté. Je ne sais même si Molière, dans ses bonnes, n’aurait pas dit, comme du meilleur de Cyrano : Ceci est à moi ! Richelieu n’a pas été plus complet en écrivant à la princesse qui l’attendait dans la cour des cuisines au Palais-Royal. Restez-y, ma reine,