où il mène la vie d’un Bénédictin : même sobriété dans le régime, même régularité dans les occupations. Ses amis savent que jusqu’à présent la femme n’a été pour lui qu’un accident toujours redouté, il l’a trop observée pour ne pas la craindre, mais à force de l’étudier, il a fini par ne plus la connaître, semblable en ceci à ces profonds tacticiens qui seraient toujours battus sur des terrains imprévus, où sont modifiés et contrariés leurs axiomes scientifiques. Il est resté l’enfant le plus candide, en se montrant l’observateur le plus instruit. Ce contraste, en apparence impossible, est très-explicable pour ceux qui ont pu mesurer la profondeur qui sépare les facultés des sentiments : les unes procèdent de la tête et les autres du cœur. On peut être un grand homme et un méchant, comme on peut être un sot et un amant sublime. D’Arthez est un de ces êtres privilégiés chez lesquels la finesse de l’esprit, l’étendue des qualités du cerveau, n’excluent ni la force ni la grandeur des sentiments. Il est, par un rare privilège, homme d’action et homme de pensée tout à la fois. Sa vie privée est noble et pure. S’il avait fui soigneusement l’amour jusqu’alors, il se connaissait bien, il savait par avance quel serait l’empire d’une passion sur lui. Pendant longtemps les travaux écrasants par lesquels il prépara le terrain solide de ses glorieux ouvrages, et le froid de la misère furent un merveilleux préservatif. Quand vint l’aisance, il eut la plus vulgaire et la plus incompréhensible liaison avec une femme assez belle, mais qui appartenait à la classe inférieure, sans aucune instruction, sans manières, et soigneusement cachée à tous les regards. Michel Chrestien accordait aux hommes de génie le pouvoir de transformer les plus massives créatures en sylphides, les sottes en femmes d’esprit, les paysannes en marquises : plus une femme était accomplie, plus elle perdait à leurs yeux ; car, selon lui, leur imagination n’avait rien à y faire. Selon lui, l’amour, simple besoin des sens pour les êtres inférieurs, était, pour les êtres supérieurs, la création morale la plus immense et la plus attachante. Pour justifier d’Arthez, il s’appuyait de l’exemple de Raphaël et de la Fornarina. Il aurait pu s’offrir lui-même comme un modèle en ce genre, lui qui voyait un ange dans la duchesse de Maufrigneuse. La bizarre fantaisie de d’Arthez pouvait d’ailleurs être justifiée de bien des manières : peut-être avait-il tout d’abord désespéré de rencontrer ici-bas une femme qui répondit à la délicieuse chimère que tout homme d’esprit rêve et caresse ? peut-être avait-il un cœur trop chatouilleux,
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