terminer à venir dîner chez elle. Cette promesse eût été, certes, imprudente sans le nom de la princesse dont la rencontre ne pouvait être indifférente à ce grand écrivain.
Daniel d’Arthez, un des hommes rares qui de nos jours unissent un beau caractère à un beau talent, avait obtenu déjà non pas toute la popularité que devaient lui mériter ses œuvres, mais une estime respectueuse à laquelle les âmes choisies ne pouvaient rien ajouter. Sa réputation grandira certes encore, mais elle avait alors atteint tout son développement aux yeux des connaisseurs : il est de ces auteurs qui, tôt ou tard, sont mis à leur vraie place, et qui n’en changent plus. Gentilhomme pauvre, il avait compris son époque en demandant tout à une illustration personnelle. Il avait lutté pendant longtemps dans l’arène parisienne, contre le gré d’un oncle riche, qui, par une contradiction que la vanité se charge de justifier, après l’avoir laissé en proie à la plus rigoureuse misère, avait légué à l’homme célèbre la fortune impitoyablement refusée à l’écrivain inconnu. Ce changement subit ne changea point les mœurs de Daniel d’Arthez : il continua ses travaux avec une simplicité digne des temps antiques, et s’en imposa de nouveaux en acceptant un siège à la Chambre des députés, où il prit place au Côté droit. Depuis son avénement à la gloire, il était allé quelquefois dans le monde. Un de ses vieux amis, un grand médecin, Horace Bianchon, lui avait fait faire la connaissance du baron de Rastignac, Sous-secrétaire d’État à un Ministère, et ami de de Marsay. Ces deux hommes politiques s’étaient assez noblement prêtés à ce que Daniel, Horace, et quelques intimes de Michel Chrestien, retirassent le corps de ce républicain à l’église Saint-Merry, et pussent lui rendre les honneurs funèbres. La reconnaissance, pour un service qui contrastait avec les rigueurs administratives déployées à cette époque où les passions politiques se déchaînèrent si violemment, avait lié pour ainsi dire d’Arthez à Rastignac. Le Sous-secrétaire d’État et l’illustre ministre étaient trop habiles pour ne pas profiter de cette circonstance ; aussi gagnèrent-ils quelques amis de Michel Chrestien, qui ne partageaient pas d’ailleurs ses opinions, et qui se rattachèrent alors au nouveau Gouvernement. L’un d’eux, Léon Giraud, nommé d’abord Maître des requêtes, devint depuis Conseiller d’État. L’existence de Daniel d’Arthez est entièrement consacrée au travail, il ne voit la Société que par échappées, elle est pour lui comme un rêve. Sa maison est un couvent