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non du fusil. » Le coup a frappé je ne sais quel homme, un maréchal des-logis du régiment, et qui était à deux pas de mon mari. Ce jeune homme devait donc être un républicain. En 1831, quand je suis revenue me loger ici, je l’ai rencontré le dos appuyé au mur de cette maison ; il paraissait joyeux de mes désastres, qui peut-être lui semblaient nous rapprocher ; mais, depuis les affaires de Saint-Merry, je ne l’ai plus revu : il y a péri. La veille des funérailles du général Lamarque, je suis sortie à pied avec mon fils et mon républicain nous a suivis, tantôt derrière, tantôt devant nous, depuis la Madeleine jusqu’au passage des Panoramas où j’allais.

— Voilà tout ? dit la marquise.

— Tout, répondit la princesse. Ah ! le matin de la prise de Saint-Merry, un gamin a voulu me parler à moi-même, et m’a remis une lettre écrite sur du papier commun, signé du nom de l’inconnu.

— Montrez-la-moi, dit la marquise.

— Non, ma chère. Cet amour a été trop grand et trop saint dans ce cœur d’homme pour que je viole son secret. Cette lettre, courte et terrible, me remue encore le cœur quand j’y songe. Cet homme mort me cause plus d’émotions que tous les vivants que j’ai distingués, il revient dans ma pensée.

— Son nom, demanda la marquise.

— Oh ! un nom bien vulgaire, Michel Chrestien.

— Vous avez bien fait de me le dire, reprit vivement madame d’Espard, j’ai souvent entendu parler de lui. Ce Michel Chrestien était l’ami d’un homme célèbre que vous avez déjà voulu voir, de Daniel d’Arthez, qui vient une ou deux fois par hiver chez moi. Ce Chrestien, qui est effectivement mort à Saint-Merry, ne manquait pas d’amis. J’ai entendu dire qu’il était un de ces grands politiques auxquels, comme à de Marsay, il ne manque que le mouvement de ballon de la circonstance pour devenir tout d’un coup ce qu’ils doivent être.

— Il vaut mieux alors qu’il soit mort, dit la princesse d’un air mélancolique sous lequel elle cacha ses pensées.

— Voulez-vous vous trouver un soir avec d’Arthez chez moi ? demanda la marquise, vous causerez de votre revenant.

— Volontiers, ma chère.

Quelques jours après cette conversation, Blondet et Rastignac, qui connaissaient d’Arthez, promirent à madame d’Espard de le dé-