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de Rastignac et de madame de Nucingen, de madame de Camps, votre cousine, pour son Octave, ont un secret, et ce secret nous l’ignorons, ma chère. Le monde nous fait l’extrême honneur de nous prendre pour des rouées dignes de la cour du Régent, et nous sommes innocentes comme deux petites pensionnaires.

— Je serais encore heureuse de cette innocence-là, s’écria railleusement la princesse ; mais la nôtre est pire, il y a de quoi être humiliée. Que voulez-vous ? nous offrirons cette mortification à Dieu en expiation de nos recherches infructueuses ; car, ma chère, il n’est pas probable que nous trouvions, dans l’arrière-saison, la belle fleur qui nous a manqué pendant le printemps et l’été.

— La question n’est pas là, reprit la marquise après une pause pleine de méditations respectives. Nous sommes encore assez belles pour inspirer une passion ; mais nous ne convaincrons jamais personne de notre innocence ni de notre vertu.

— Si c’était un mensonge, il serait bientôt orné de commentaires, servi avec les jolies préparations qui le rendent croyable et dévoré comme un fruit délicieux ; mais faire croire à une vérité ! Ah ! les plus grands hommes y ont péri, ajouta la princesse avec un de ces fins sourires que le pinceau de Léonard de Vinci a seul pu rendre.

— Les niais aiment bien parfois, reprit la marquise.

— Mais, fit observer la princesse, pour ceci les niais eux-mêmes n’ont pas assez de crédulité.

— Vous avez raison, dit en riant la marquise. Mais ce n’est ni un sot, ni même un homme de talent que nous devrions chercher. Pour résoudre un pareil problème, il nous faut un homme de génie. Le génie seul a la foi de l’enfance, la religion de l’amour, et se laisse volontiers bander les yeux. Si vous et moi nous avons rencontré des hommes de génie, ils étaient peut-être trop loin de nous, trop occupés, et nous trop frivoles, trop entraînées, trop prises.

— Ah ! je voudrais cependant bien ne pas quitter ce monde sans avoir connu les plaisirs du véritable amour, s’écria la princesse.

— Ce n’est rien que de l’inspirer, dit madame d’Espard, il s’agit de l’éprouver. Je vois beaucoup de femmes n’être que les prétextes d’une passion au lieu d’en être à la fois la cause et l’effet.

— La dernière passion que j’ai inspirée était une sainte et belle chose, dit la princesse, elle avait de l’avenir. Le hasard m’avait adressé, cette fois, cet homme de génie qui nous est dû, et qu’il