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de Maufrigneuse alla dans la Vendée, et put en revenir secrètement, sans s’être compromis, mais non sans avoir pris part aux périls de Madame, qui, malheureusement, le renvoya lorsque tout parut être perdu. Peut-être la vigilance passionnée de ce jeune homme eût-elle déjoué la trahison. Quelque grands qu’aient été les torts de la duchesse de Maufrigneuse aux yeux du monde bourgeois, la conduite de son fils les a certes effacés aux yeux du monde aristocratique. Il y eut de la noblesse et de la grandeur à risquer ainsi le fils unique et l’héritier d’une maison historique. Il est certaines personnes, dites habiles, qui réparent les fautes de la vie privée par les services de la vie politique, et réciproquement ; mais il n’y eut chez la princesse de Cadignan aucun calcul. Peut-être n’y en a-t-il pas davantage chez tous ceux qui se conduisent ainsi. Les événements sont pour la moitié dans ces contresens.

Dans un des premiers beaux jours du mois de mai 1833, la marquise d’Espard et la princesse tournaient, on ne pouvait dire se promenaient, dans l’unique allée qui entourait le gazon du jardin, vers deux heures de l’après-midi, par un des derniers éclairs du soleil. Les rayons réfléchis par les murs faisaient une chaude atmosphère dans ce petit espace qu’embaumaient des fleurs, présent de la marquise.

— Nous perdrons bientôt de Marsay, disait madame d’Espard à la princesse, et avec lui s’en ira votre dernier espoir de fortune pour le duc de Maufrigneuse ; car depuis que vous l’avez si bien joué, ce grand politique a repris de l’affection pour vous.

— Mon fils ne capitulera jamais avec la branche cadette, dit la princesse, dût-il mourir de faim, dussé-je travailler pour lui. Mais Berthe de Cinq-Cygne ne le hait pas.

— Les enfants, dit madame d’Espard, n’ont pas les mêmes engagements que leurs pères…

— Ne parlons point de ceci, dit la princesse. Ce sera bien assez, si je ne puis apprivoiser la marquise de Cinq-Cygne, de marier mon fils avec quelque fille de forgeron, comme a fait ce petit d’Esgrignon !

— L’avez-vous aimé ? dit la marquise.

— Non, répondit gravement la princesse. La naïveté de d’Esgrignon était une sorte de sottise départementale de laquelle je me sais aperçue un peu trop tard, ou trop tôt si vous voulez.

— Et de Marsay ?