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n’y comprit rien, mais il y avait gagné quatre cent mille francs que Nucingen lui avait laissé tondre sur les brebis parisiennes, et avec lesquels il a doté ses deux sœurs. D’Aiglemont, averti par son cousin Baudenord, était venu supplier Rastignac d’accepter dix pour cent de son million, s’il lui faisait obtenir l’emploi du million en actions sur un canal qui est encore à faire, car Nucingen a si bien roulé le Gouvernement dans cette affaire-là que les concessionnaires du canal ont intérêt à ne pas le finir. Charles Grandet a imploré l’amant de Delphine de lui faire échanger son argent contre des actions. Enfin, Rastignac a joué pendant dix jours le rôle de Law supplié par les plus jolies duchesses de leur donner des actions, et aujourd’hui le gars peut avoir quarante mille livres de rente dont l’origine vient des actions dans les mines de plomb argentifère.

— Si tout le monde gagne, qui donc a perdu ? dit Finot.

— Conclusion, reprit Bixiou. Alléchés par le pseudo-dividende qu’ils touchèrent quelques mois après l’échange de leur argent contre les actions, le marquis d’Aiglemont et Beaudenord les gardèrent (je vous les pose pour tous les autres), ils avaient trois pour cent de plus de leurs capitaux, ils chantèrent les louanges de Nucingen, et le défendirent au moment même où il fut soupçonné de suspendre ses paiements. Godefroid épousa sa chère Isaure, et reçut pour cent mille francs d’actions dans les mines. À l’occasion de ce mariage, les Nucingen donnèrent un bal dont la magnificence surpassa l’idée qu’on s’en faisait. Delphine offrit à la jeune mariée une charmante parure en rubis. Isaure dansa, non plus en jeune fille, mais en femme heureuse. La petite baronne fut plus que jamais bergère des Alpes. Malvina, la femme d’Avez-vous vu dans Barcelone ? entendit au milieu de ce bal du Tillet lui conseillant sèchement d’être madame Desroches. Desroches, chauffé par les Nucingen, par Rastignac, essaya de traiter les affaires d’intérêt ; mais aux premiers mots d’actions des mines données en dot, il rompit, et se retourna vers les Matifat. Rue du Cherche-Midi, l’avoué trouva les damnées actions sur les canaux que Gigonnet avait fourrées à Matifat au lieu de lui donner de l’argent. Vois-tu Desroches rencontrant le râteau de Nucingen sur les deux dots qu’il avait couchées en joue. Les catastrophes ne se firent pas attendre. La société Claparon fit trop d’affaires, il y eut engorgement, elle cessa de servir les intérêts et de donner des dividendes, quoique ses opérations fussent excellentes. Ce malheur se combina avec les événements de