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lité. — Acceptes-tu, oui ou non, lui dit impitoyablement Rastignac. Godefroid prit une plume et de l’encre, il écrivit et signa la lettre que lui dicta Rastignac. — Mon pauvre cousin ! s’écria-t-il. — Chacun pour soi, dit Rastignac. Et d’un de chambré ! ajouta-t-il en quittant Godefroid. Pendant que Rastignac manœuvrait dans Paris, voilà quel aspect présentait la Bourse. J’ai un ami de province, une bête qui me demandait en passant à la Bourse, entre quatre et cinq heures, pourquoi ce rassemblement de causeurs qui vont et viennent, ce qu’ils peuvent se dire, et pourquoi se promener après l’irrévocable fixation du cours des Effets publics. —- « Mon ami, lui dis-je, ils ont mangé, ils digèrent ; pendant la digestion, ils font des cancans sur le voisin, sans cela pas de sécurité commerciale à Paris. Là se lancent les affaires, et il y a tel homme, Palma, par exemple, dont l’autorité est semblable à celle d’Arago à l’Académie royale des Sciences. Il dit que la spéculation se fasse, et la spéculation est faite ! »

— Quel homme, messieurs, dit Blondet, que ce juif qui possède une instruction non pas universitaire, mais universelle. Chez lui, l’universalité n’exclut pas la profondeur ; ce qu’il sait, il le sait à fond ; son génie est intuitif en affaires ; c’est le grand-référendaire des loups-cerviers qui dominent la place de Paris, et qui ne font une entreprise que quand Palma l’a examinée. Il est grave, il écoute, il étudie, il réfléchit, et dit à son interlocuteur qui, vu son attention, le croit empaumé : — Cela ne me va pas. Ce que je trouve de plus extraordinaire, c’est qu’après avoir été dix ans l’associé de Werbrust, il ne s’est jamais élevé de nuages entre eux.

— Ça n’arrive qu’entre gens très-forts et très-faibles ; tout ce qui est entre les deux se dispute et ne tarde pas à se séparer ennemis, dit Couture.

— Vous comprenez, dit Bixiou, que Nucingen avait savemment et d’une main habile, lancé sous les colonnes de la Bourse un petit obus qui éclata sur les quatre heures. — Savez-vous une nouvelle grave, dit du Tillet à Werbrust en l’attirant dans un coin, Nucingen est à Bruxelles, sa femme a présenté au Tribunal une demande en séparation de biens. — Êtes-vous son compère pour une liquidation ? dit Werbrust en souriant. — Pas de bêtises, Werbrust, dit du Tillet, vous connaissez les gens qui ont de son papier, écoutez-moi, nous avons une affaire à combiner. Les actions de notre nouvelle société gagnent vingt pour cent, elles