Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/568

Cette page a été validée par deux contributeurs.

en gardant sa distance ; il lui laissa croire qu’il appartenait à la diplomatie, et s’attendait à devenir consul-général par la protection du duc de Grandlieu. Deux jours après leur départ de Paris, Corentin et Derville arrêtaient à Mansle, au grand étonnement de l’avoué qui croyait aller à Angoulême.

— Nous aurons dans cette petite ville, dit Corentin à Derville, des renseignements positifs sur madame Séchard.

— Vous la connaissez donc ? demanda Derville surpris de trouver Corentin si bien instruit.

— J’ai fait causer le conducteur en m’apercevant qu’il est d’Angoulême, il m’a dit que madame Séchard demeure à Marsac, et Marsac n’est qu’à une lieue de Mansle. J’ai pensé que nous serions mieux placés ici qu’à Angoulême pour démêler la vérité.

— Au surplus, pensa Derville, je ne suis, comme me l’a dit monsieur le duc, que le témoin des perquisitions à faire par cet homme de confiance…

L’auberge de Mansle, appelée la Belle Étoile, avait pour maître un de ces gras et gros hommes qu’on a peur de ne pas retrouver au retour, et qui sont encore, dix ans après, sur le seuil de leur porte, avec la même quantité de chair, le même bonnet de coton, le même tablier, le même couteau, les mêmes cheveux gras, le même triple menton, et qui sont stéréotypés chez tous les romanciers, depuis l’immortel Cervantès jusqu’à l’immortel Walter Scott. Ne sont-ils pas tous pleins de prétentions en cuisine, n’ont-ils pas tous tout à vous servir et ne finissent-ils pas tous par vous donner un poulet étique et des légumes accommodés avec du beurre fort ? Tous vous vantent leurs vins fins, et vous forcent à consommer les vins du pays. Mais depuis son jeune âge, Corentin avait appris à tirer d’un aubergiste des choses plus essentielles que des plats douteux et des vins apocryphes. Aussi se donna-t-il pour un homme très facile à contenter et qui s’en remettait absolument à la discrétion du meilleur cuisinier de Mansle, dit-il à ce gros homme.

— Je n’ai pas de peine à être le meilleur, je suis le seul, répondit l’hôte.

— Servez-nous dans la salle à côté, dit Corentin en faisant un clignement d’yeux à Derville, et surtout ne craignez pas de mettre le feu à la cheminée, il s’agit de nous débarrasser de l’onglée.

— Il ne faisait pas chaud dans le coupé, dit Derville.