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que c’est ?… une voiture comme celles qu’on loue aux épiciers le jour de leur mariage pour aller à la Mairie, à l’Église et au Cadran-Bleu… Il me taonne avec le respect. Si j’essaie d’avoir mal aux nerfs et d’être mal disposée, il ne se fâche pas, il me dit : — Ie veuie qué milédy fesse sa petite voloir, por que rienne n’est pius détestabel, — no gentlemen — qué dé dire à ioune genti phâme : « Vos été ioune bellôt de cottône, ioune merchendise !… Hé ! hé ! vos étez à ein member of society de temprence, and anti-Slavery. » Et mon drôle reste pâle, sec, froid, en me faisant ainsi comprendre qu’il a du respect pour moi comme il en aurait pour un nègre, et que cela ne tient pas à son cœur, mais à ses opinions d’abolitionniste.

— Il est impossible d’être plus infâme, dit Esther, mais je le ruinerais, ce chinois-là !

— Le ruiner ? dit madame du Val-Noble, il faudrait qu’il m’aimât !… Mais toi-même, tu ne voudrais pas lui demander deux liards. Il t’écouterait gravement, et te dirait, avec ces formes britanniques qui font trouver les gifles aimables, qu’il te paie assez cher, por le petit chose qu’été lé amor dans son paour existence.

— Dire que, dans notre état, on peut rencontrer des hommes comme celui-là, s’écria Esther.

— Ah ! ma chère, tu as eu de la chance, toi !… soigne bien ton Nucingen.

— Mais il a une idée, ton Nabab !

— C’est ce que me dit Adèle, répondit madame du Val-Noble.

— Tiens, cet homme-là, ma chère, aura pris le parti de se faire haïr par une femme, et de se faire renvoyer en tant de temps, dit Esther.

— Ou bien, il veut faire des affaires avec Nucingen, et il m’aura prise en sachant que nous étions liées, c’est ce que croit Adèle, répondit madame de Val-Noble. Voilà pourquoi je te le présente ce soir. Ah ! si je pouvais être certaine de ses projets, comme je m’entendrais joliment avec toi et Nucingen !

— Tu ne t’emportes pas, dit Esther, tu ne lui dis pas son fait de temps en temps ?

— Tu l’essayerais, tu es bien fine… eh ! bien, malgré ta gentillesse, il te tuerait avec ses sourires glacés. Il te répondrait : « Yeu souis anti-slaveri, et vos étés libre… » Tu lui dirais les choses