et Rastignac. Ayons au moins deux personnes amusantes, et ne soyons pas plus de neuf.
— Il faudrait trouver un moyen d’envoyer chercher Europe par le baron, sous prétexte de prévenir Asie, et tu lui dirais ce qui vient de m’arriver, afin que Carlos en soit instruit avant d’avoir le Nabab sous sa coupe.
— Ce sera fait, dit Esther.
Ainsi Peyrade allait probablement se trouver, sans le savoir, sous le même toit avec son adversaire. Le tigre venait dans l’antre du lion et d’un lion accompagné de ses gardes.
Quand Lucien rentra dans la loge de madame de Sérizy, au lieu de tourner la tête vers lui, de lui sourire et de ranger sa robe pour lui faire place à côté d’elle, elle affecta de ne pas faire la moindre attention à celui qui entrait, elle continua de lorgner dans la salle ; mais Lucien s’aperçut au tremblement des jumelles que la comtesse était en proie à l’une de ces agitations formidables par lesquelles s’expient les bonheurs illicites. Il n’en descendit pas moins sur le devant de la loge, à côté d’elle, et se campa dans l’angle opposé, laissant entre la comtesse et lui un petit espace vide ; il s’appuya sur le bord de la loge, y mit son coude droit, et le menton sur sa main gantée ; puis, il se posa de trois quarts, attendant un mot. Au milieu de l’acte, la comtesse ne lui avait encore rien dit, et ne l’avait pas encore regardé.
— Je ne sais pas, lui dit-elle, pourquoi vous êtes ici ; votre place est dans la loge de mademoiselle Esther…
— J’y vais, dit Lucien qui sortit sans regarder la comtesse.
— Ah ! ma chère, dit madame de Val-Noble en entrant dans la loge d’Esther avec Peyrade que le baron de Nucingen ne reconnut pas, je suis enchantée de te présenter monsieur Samuel Johnson ; il est admirateur des talents de monsieur de Nucingen.
— Vraiment, monsieur, dit Esther en souriant à Peyrade.
— O, yes, bocop, dit Peyrade.
— Eh ! bien, baron, voilà un français qui ressemble au vôtre, à peu près comme le bas-breton ressemble au bourguignon. Ça va bien m’amuser de vous entendre causer finances… Savez-vous ce que j’exige de vous, monsieur Nabab, pour faire connaissance avec mon baron ? dit-elle en souriant.
— Ô !… jé… vôs mercie, vôs mé présenterez au sir berronet.