équipages. En apercevant monsieur de Rubempré, l’un des valets de pied, qui ouvrait et fermait la porte du péristyle, s’avance, sort sur le perron et se met devant la porte, comme un soldat qui reprend sa faction.
— Sa Seigneurie n’y est pas ! dit-il.
— Madame la duchesse reçoit, fit observer Lucien au valet.
— Madame la duchesse est sortie, répond gravement le valet.
— Mademoiselle Clotilde…
— Je ne pense pas que mademoiselle Clotilde reçoive monsieur en l’absence de madame la duchesse…
— Mais il y a du monde, repartit Lucien foudroyé,
— Je ne sais pas, répondit le valet de pied en tâchant d’être à la fois bête et respectueux.
Il n’y a rien de plus terrible que l’étiquette pour ceux qui l’admettent comme la loi la plus formidable de la société. Lucien devina facilement le sens de cette scène atroce pour lui : le duc et la duchesse ne voulaient pas le recevoir ; il sentit sa moelle épinière se gelant dans les anneaux de sa colonne vertébrale, et une petite sueur froide lui mit quelques perles au front. Ce colloque avait lieu devant son valet de chambre à lui, qui tenait la poignée de la portière et qui hésitait à la fermer ; Lucien lui fit signe qu’il allait repartir ; mais, en remontant, il entendit le bruit que font des gens en descendant un escalier, et un domestique vint crier successivement : — Les gens de monsieur le duc de Chaulieu ! — Les gens de madame la vicomtesse de Grandlieu ! Lucien ne dit qu’un mot à son domestique : — Vite aux Italiens !… Malgré sa prestesse, l’infortuné dandy ne put éviter le duc de Chaulieu et son fils le duc de Rhétoré, avec lesquels il fut forcé d’échanger des saluts, et qui ne lui dirent pas un mot. Une grande catastrophe à la cour, la chute d’un favori redoutable est souvent consommée au seuil d’un cabinet par le mot d’un huissier à visage de plâtre.
— Comment faire savoir ce désastre à l’instant à mon conseiller ? se disait Lucien. Que se passe-t-il ?… Il se perdait en conjectures. Voici ce qui venait d’avoir lieu. Le matin même, à onze heures, le duc de Grandlieu dit, en entrant dans le petit salon où l’on déjeunait en famille, à Clotilde après l’avoir embrassée : — Mon enfant, jusqu’à nouvel ordre, ne t’occupe plus du sire de Rubempré. Puis il prit la duchesse par la main et l’em-