— Briser le cuir, ça se dit en un seul mot : tanner… reprit-elle en se moquant de la prononciation du baron. Voyons, amenez-moi Lucien, que je l’invite à notre festin de Balthazar, et que je sois sûre qu’il n’y manquera pas. Si vous réussissez à cette petite négociation, je te dirai si bien que je t’aime, mon gros Frédéric, que tu le croiras…
— Fus êdes une engeanderesse, dit le baron en baisant le gant d’Esther. Che gonzentirais à andandre eine hire t’inchures, s’il y afait tuchurs eine garesse au poud…
— Allons, si je ne suis pas obéie, je… dit-elle en menaçant le baron du doigt comme on fait avec les enfants.
Le baron hocha la tête en oiseau pris dans un traquenard et qui implore le chasseur.
— Mon Dieu ! qu’a donc Lucien ? se dit-elle quand elle fut seule en ne retenant plus ses larmes qui tombèrent, il n’a jamais été si triste !
Voici ce qui le soir même était arrivé à Lucien. À neuf heures, Lucien était sorti, comme tous les soirs, dans son coupé, pour aller à l’hôtel de Grandlieu. Réservant son cheval de selle et son cheval de cabriolet pour ses matinées, comme font tous les jeunes gens, il avait pris un coupé pour ses soirées d’hiver, et avait choisi chez le premier loueur de carrosses un des plus magnifiques avec de magnifiques chevaux. Tout lui souriait depuis un mois : il avait dîné trois fois à l’hôtel Grandlieu, le duc était charmant pour lui ; ses actions dans l’entreprise des Omnibus vendues trois cent mille francs lui avaient permis de payer encore un tiers du prix de sa terre ; Clotilde de Grandlieu, qui faisait de délicieuses toilettes, avait dix pots de fard sur la figure quand il entrait dans le salon, et avouait hautement d’ailleurs sa passion pour lui. Quelques personnes assez haut placées parlaient du mariage de Lucien et de mademoiselle de Grandlieu comme d’une chose probable. Le duc de Chaulieu, l’ancien ambassadeur en Espagne et ministre des Affaires étrangères pendant un moment, avait promis à la duchesse de Grandlieu de demander au Roi le titre de marquis pour Lucien. Après avoir dîné chez madame de Sérizy, Lucien était donc allé, ce soir-là, de la rue de la Chaussée-d’Antin au faubourg Saint-Germain y faire sa visite de tous les jours. Il arrive, son cocher demande la porte, elle s’ouvre, il arrête au perron. Lucien, en descendant de voiture, voit dans la cour quatre