— Baron, tenez, vous baragouinez l’amour comme vous baragouinez le français.
— Terteifle !
— Je ne suis pas ici dans mon boudoir, je suis aux Italiens. Si vous n’étiez pas une de ces caisses fabriquées par Huret ou par Fichet, qui s’est métamorphosée en homme par un tour de force de la Nature, vous ne feriez pas tant de tapage dans la loge d’une femme qui aime la musique. Je crois bien que je ne vous écoute pas ! Vous êtes là, tracassant dans ma robe comme un hanneton dans du papier, et vous me faites rire de pitié. Vous me dites : — « Fus êdes cholie, fis êdes à groguer… » Vieux fat ! si je vous répondais : — « Vous me déplaisez moins ce soir qu’hier, rentrons chez nous. » Eh ! bien, à la manière dont je vous vois soupirer (car si je ne vous écoute pas, je vous sens), je vois que vous avez énormément dîné, votre digestion commence. Apprenez de moi (je vous coûte assez cher pour que je vous donne de temps en temps un conseil pour votre argent !) apprenez, mon cher, que quand on a des digestions embarrassées comme le sont les vôtres, il ne vous est pas permis de dire indifféremment, et à des heures indues, à votre maîtresse : — Fus êdes cholie… Un vieux soldat est mort de cette fatuité-là dans les bras de la Religion, a dit Blondet… Il est dix heures, vous avez fini de dîner à neuf heures chez du Tillet avec votre pigeon, le comte de Brambourg, vous avez des millions et des truffes à digérer, repassez demain à dix heures.
— Comme fus édes grielle !… s’écria le baron qui reconnut la profonde justesse de cet argument médical.
— Cruelle ?… fit Esther en regardant toujours Lucien. N’avez-vous pas consulté Bianchon, Desplein, le vieil Haudry… Depuis que vous entrevoyez l’aurore de votre bonheur, savez-vous de quoi vous me faites l’effet ?…
— Te guoi ?
— D’un petit bonhomme enveloppé de flanelle, qui, d’heure en heure, se promène de son fauteuil à sa croisée pour savoir si le thermomètre est à l’article vers à soie, la température que son médecin lui ordonne…
— Dennez, fus èdes eine incrade ! s’écria le baron au désespoir d’entendre une musique que les vieillards amoureux entendent cependant assez souvent aux Italiens.