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— Oui, monsieur, répondit le groom.

— Eh ! bien, reçois cet homme, dit-il à Lucien ; mais ne dis pas un seul mot compromettant, ne laisse pas échapper un geste d’étonnement, c’est l’ennemi.

— Tu m’entendras, dit Lucien.

Carlos se cacha dans une pièce contiguë, et par la fente de la porte il vit entrer Corentin, qu’il ne reconnut qu’à la voix, tant ce grand homme inconnu possédait le don de transformation ! En ce moment, Corentin ressemblait à un vieux Chef de Division aux Finances.

— Je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous, monsieur, dit Corentin ; mais…

— Excusez-moi de vous interrompre, monsieur, dit Lucien ; mais…

— Mais, il s’agit de votre mariage avec mademoiselle Clotilde de Grandlieu, qui ne se fera pas, dit alors vivement Corentin. (Lucien s’assit et ne répondit rien.) — Vous êtes entre les mains d’un homme qui a le pouvoir, la volonté, la facilité de prouver au duc de Grandlieu que la terre de Rubempré sera payée avec le prix qu’un sot vous a donné de votre maîtresse, mademoiselle Esther… On trouvera facilement les minutes des jugements en vertu desquels mademoiselle Esther a été poursuivie, et l’on a les moyens de faire parler d’Estourny. Les manœuvres extrêmement habiles employées contre le baron de Nucingen seront mises à jour… En ce moment, tout peut s’arranger. Donnez une somme de cent mille francs et vous aurez la paix… Ceci ne me regarde en rien. Je suis le chargé d’affaires de ceux qui se livrent à ce chantage, voila tout.

Corentin aurait pu parler une heure, Lucien fumait sa cigarette d’un air parfaitement insouciant.

— Monsieur, répondit-il, je ne veux pas savoir qui vous êtes, car les gens qui se chargent de commissions semblables ne se nomment d’aucune manière, pour moi, du moins. Je vous ai laissé parler tranquillement : je suis chez moi. Vous ne me paraissez pas dénué de sens, écoutez bien mon dilemme. (Une pause se fit, pendant laquelle Lucien opposa aux yeux de chat que Corentin dirigeait sur lui un regard couvert de glace.) — Ou vous vous appuyez sur des faits entièrement faux, et je ne dois en prendre aucun souci ; ou vous avez raison, et alors, en vous donnant cent mille francs, je vous laisse le droit de me demander autant de cent mille francs que votre