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Néanmoins, Corentin dut étudier les raisons qui portaient cet Espagnol à protéger Lucien de Rubempré. Il fut démontré bientôt à Corentin que Lucien avait eu pendant cinq ans Esther pour maîtresse. Ainsi la substitution de l’Anglaise à Esther avait eu lieu dans les intérêts du dandy. Or Lucien n’avait aucun moyen d’existence, on lui refusait mademoiselle de Grandlieu pour femme, et il venait d’acheter un million la terre de Rubempré. Corentin fit mouvoir adroitement le directeur-général de la Police du royaume, à qui le préfet de Police apprit, à propos de Peyrade, qu’en cette affaire les plaignants n’étaient rien moins que le comte de Sérizy et Lucien de Rubempré. — Nous y sommes ! s’étaient écriés Peyrade et Corentin. Le plan des deux amis fut dessiné dans un moment. « — Cette fille, avait dit Corentin, a eu des liaisons, elle a des amies. Parmi ces amies, il est impossible qu’il ne s’en trouve pas une dans le malheur ; un de nous doit jouer le rôle d’un riche étranger qui l’entretiendra ; nous les ferons camarader. Elles ont toujours besoin les unes des autres pour le tric-trac des amants, et nous serons alors au cœur de la place. » Peyrade pensa tout naturellement à prendre son rôle d’Anglais. La vie de débauche à mener, pendant le temps nécessaire à la découverte du complot dont il avait été la victime, lui souriait, tandis que Corentin, vieilli par ses travaux et assez malingre, s’en souciait peu. En mulâtre, Contenson échappa sur-le-champ à la contre-police de Carlos. Trois jours avant la rencontre de Peyrade et de madame du Val-Noble aux Champs-Élysées, le dernier des agents de messieurs de Sartine et Lenoir, muni d’un passeport parfaitement en règle, avait débarqué rue de la Paix, à l’hôtel Mirabeau, venant des colonies par Le Havre dans une petite calèche aussi crottée que si elle arrivait du Havre, quoiqu’elle n’eût fait que le chemin de Saint-Denis à Paris.

Carlos Herrera, de son côté, fit viser son passe-port à l’ambassade espagnole, et disposa tout quai Malaquais pour un voyage à Madrid. Voici pourquoi. Sous quelques jours Esther allait être propriétaire du petit hôtel de la rue Saint-Georges, elle devait obtenir une inscription de trente mille francs de rente ; Europe et Asie étaient assez rusées pour la lui faire vendre et en remettre secrètement le prix à Lucien. Lucien, soi-disant riche par la libéralité de sa sœur, achèverait ainsi de payer le prix de la terre de Rubempré. Personne n’avait rien à reprendre dans cette conduite. Esther seule pouvait être indiscrète ; mais elle serait morte plutôt