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à pied avait besoin pour aller dîner en ville, pour se rendre au spectacle et en revenir.

— Eh ! bien, ma chère madame Gérard, dit-elle à cette honnête mère de famille, mon sort va changer, je crois…

— Allons, madame, tant mieux ; mais soyez sage, pensez à l’avenir… Ne faites plus de dettes. J’ai tant de mal à renvoyer ceux qui vous cherchent !…

— Eh ! ne vous inquiétez pas de ces chiens-là, qui tous ont gagné des sommes énormes avec moi. Tenez, voici des billets de Variétés pour vos filles, une bonne loge aux deuxièmes. Si quelqu’un me demandait ce soir et que je ne fusse pas rentrée, on laisserait monter tout de même. Adèle, mon ancienne femme de chambre, y sera ; je vais vous l’envoyer.

Madame du Val-Noble, qui n’avait ni tante ni mère, se trouvait forcée de recourir à sa femme de chambre (aussi à pied !) pour faire jouer le rôle d’une Saint-Estève auprès de l’inconnu dont la conquête allait lui permettre de remonter à son rang. Elle alla dîner avec Théodore Gaillard, qui, pour ce jour-là, se trouvait avoir une partie, c’est-à-dire un dîner offert par Nathan, qui payait un pari perdu, une de ces débauches dont on dit aux invités : — Il y aura des femmes.

Peyrade ne s’était pas décidé sans de puissantes raisons à donner de sa personne dans le champ de cette intrigue. Sa curiosité, comme celle de Corentin, était d’ailleurs si vivement excitée que, sans raisons, il se fût encore mêlé volontiers à ce drame. En ce moment la politique de Charles X avait achevé sa dernière évolution. Après avoir confié le timon des affaires à des ministres de son choix, le roi préparait la conquête d’Alger pour faire servir cette gloire de passe-port à ce qu’on a nommé son coup d’État. Au dedans, personne ne conspirait plus, Charles X croyait n’avoir aucun adversaire. En politique comme en mer, il y a des calmes trompeurs. Corentin était donc tombé dans une inaction absolue. Dans cette situation, un vrai chasseur, pour s’entretenir la main, faute de grives, tue des merles. Domitien, lui, tuait des mouches, faute de chrétiens. Témoin de l’arrestation d’Esther, Contenson avait, avec le sens exquis de l’espion, très bien jugé cette opération. Ainsi qu’on l’a vu, le drôle n’avait pas pris la peine de gazer son opinion au baron de Nucingen. « Au profit de qui rançonne-t-on la passion du banquier ? » fut la première question que