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D’Estourny, le galant escroc, était bon enfant ; il trichait au jeu, mais il avait mis de côté trente mille francs pour sa maîtresse. Aussi, dans les soupers de carnaval, les femmes répondaient-elles à ses accusateurs : « C’est égal !… vous aurez beau dire, Georges était un bon enfant, il avait de belles manières, il méritait un meilleur sort ! » Les filles se moquent des lois, elles adorent une certaine délicatesse. Elles savent se vendre, comme Esther, pour un beau idéal secret, leur religion à elles.

Après avoir à grand’peine sauvé quelques bijoux du naufrage, madame du Val-Noble succombait sous le poids terrible de cette accusation : — Elle a ruiné Falleix ! Elle atteignait l’âge de trente ans, et quoiqu’elle fût dans tout le développement de sa beauté, néanmoins elle pouvait d’autant mieux passer pour une vieille femme que, dans ces crises, une femme a contre soi toutes ses rivales. Mariette, Florine et Tullia recevaient bien leur amie à dîner, lui donnaient bien quelques secours ; mais, ne connaissant pas le chiffre de ses dettes, elles n’osaient sonder la profondeur de ce gouffre. Six ans d’intervalle constituaient un point d’aiguille un peu trop long dans les fluctuations de la mer parisienne, entre la Torpille et madame du Val-Noble, pour que la femme à pied s’adressât à la femme en voiture ; mais la Val-Noble savait Esther trop généreuse pour ne pas songer parfois qu’elle avait, selon son mot, hérité d’elle, et venir à elle dans une rencontre qui semblerait fortuite, quoique cherchée. Pour faire arriver ce hasard, madame du Val-Noble, mise en femme comme il faut, se promenait aux Champs-Élysées tous les jours, ayant au bras Théodore Gaillard, qui a fini par l’épouser et qui, dans cette détresse, se conduisait très bien avec son ancienne maîtresse, il lui donnait des loges et la faisait inviter à toutes les parties. Elle se flattait que, par un beau temps, Esther se promènerait, et qu’elles se trouveraient face à face. Esther avait Paccard pour cocher, car sa maison fut, en cinq jours, organisée par Asie, par Europe et Paccard, d’après les instructions de Carlos, de manière à faire de la maison rue Saint-Georges une place forte. De son côté, Peyrade, par sa haine profonde, par son désir de vengeance, et surtout dans le dessein d’établir sa chère Lydie, prit pour but de promenade les Champs-Élysées, dès que Contenson lui dit que la maîtresse de monsieur de Nucingen y était visible. Peyrade se mettait si parfaitement en Anglais, et parlait si bien en français avec les gazouillements que les Anglais introduisent dans