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de l’amoureux. Le baron souffrit et resta. Esther avait ses raisons pour garder le baron. Si elle devait recevoir les visites de ses anciennes connaissances, elle ne devait pas être questionnée aussi sérieusement en compagnie qu’elle l’aurait été seule. Philippe Bridau se hâta de revenir dans la loge des danseuses.

— Ah ! c’est elle qui hérite de ma maison de la rue Saint-Georges ! dit au comte de Brambourg avec amertume madame du Val-Noble qui, dans le langage de ces sortes de femmes, se trouvait à pied.

— Probablement, répondit-il. Du Tillet m’a dit que le baron y avait dépensé trois fois autant que votre pauvre Falleix.

— Allons donc la voir, dit Tullia.

— Ma foi ! non, répliqua Mariette, elle est trop belle… j’irai la voir chez elle.

— Je me trouve assez bien pour me risquer, répondit Tullia.

Tullia vient donc au premier entr’acte, et renouvela connaissance avec Esther qui se tint dans les généralités.

— Et d’où reviens-tu, ma chère enfant ? demanda la danseuse qui n’en pouvait mais de curiosité.

— Oh ! je suis restée pendant cinq ans dans un château des Alpes avec un Anglais jaloux comme un tigre, un nabab ; je l’appelais un nabot, car il n’était pas si grand que le bailli de Ferrette. Et je suis retombée à un banquier, de caraïbe en syllabe, comme dit Florine. Aussi, maintenant que me voilà revenue à Paris, ai-je des envies de m’amuser qui vont me rendre un vrai Carnaval. J’aurai maison ouverte. Ah ! il faut me refaire de cinq ans de solitude, et je commence à me rattraper. Cinq ans d’Anglais, c’est trop ; d’après les affiches, on doit n’y être que six semaines.

— Est-ce le baron qui t’a donné cette dentelle ?

— Non, c’est un reste de Nabab… Ai-je du malheur, ma chère ! il était jaune comme un rire d’ami devant un succès. J’ai cru qu’il mourrait en dix mois. Bah ! il était fort comme une Alpe. Il faut se défier de tous ceux qui se disent malades du foie… Je ne veux plus entendre parler de foie. J’ai eu trop de foi aux proverbes… Ce nabab m’a volée : il est mort sans faire de testament, et la famille m’a mise à la porte comme si j’avais eu la peste. Aussi j’ai dit à ce gros-là : — Paye pour deux ! Vous avez bien raison de m’appeler une Jeanne d’Arc, j’ai perdu l’Angleterre ! et je mourrai peut-être brûlée.