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coup de lancette est pour un corps pléthorique. Nucingen venait d’arroser l’Industrie de plus de deux cent mille francs.

Quand le vieil amoureux revint, la nuit tombait, le bouquet était inutile. L’heure d’aller aux Champs-Élysées, en hiver, est de deux heures à quatre. Mais la voiture servit à Esther pour se rendre de la rue Taitbout à la rue Saint-Georges, où elle prit possession du bedid balai. Jamais, disons-le, Esther n’avait encore été l’objet d’un pareil culte ni de profusions pareilles ; elle en fut surprise, et se garda bien, comme toutes ces royales ingrates, de montrer le moindre étonnement. Quand vous entrez dans Saint-Pierre de Rome, pour vous faire apprécier l’étendue et la hauteur de la cathédrale des cathédrales, on vous montre le petit doigt d’une statue qui a je ne sais quelle longueur, et qui vous semble un petit doigt naturel. Or, on a tant critiqué les descriptions, néanmoins si nécessaires à l’histoire de nos mœurs, qu’il faut imiter ici le cicérone romain. Donc, en entrant dans la salle à manger, le baron ne put s’empêcher de montrer à Esther l’étoffe des rideaux de croisée, drapée avec une abondance royale, doublée en moire blanche et garnie d’une passementerie digne du corsage d’une princesse portugaise. Cette étoffe était une soierie de Chine où la patience chinoise avait su peindre les oiseaux d’Asie avec une perfection dont le modèle n’existe que sur les vélins du Moyen Âge, ou dans le missel de Charles-Quint, l’orgueil de la bibliothèque impériale de Vienne.

Elle a goûdé teux mile vrancs l’aune à eine milort qui l’a rabbordée tes Intes…

— Très bien. Charmant ! Quel plaisir ce sera de boire ici du vin de Champagne ! dit Esther. Du moins, la mousse n’y jaillira pas sur du carreau !

— Oh ! madame, dit Europe, mais voyez donc le tapis ?…

Comme on affait tessiné la dabis bir la tuc Dorionia, mon hâmi, qui le droufe drop cher, che l’ai bris pir vus, qui êdes eine reine ! dit Nucingen en montrant le tapis.

Par un effet du hasard, ce tapis, dû à l’un de nos plus ingénieux dessinateurs, se trouvait assorti aux caprices de la draperie chinoise. Les murs avaient été peints par Diaz et représentaient de délicieuses scènes, toutes voluptueuses, qui ressortaient sur des ébènes sculptés, acquis à prix d’or chez du Sommerard, et formant des panneaux où de simples filets d’or attiraient sobrement la lumière. Maintenant vous pouvez juger du reste.