la consolation, la joie de mes vieux jours. Vous savez bien que, jusqu’à ma mort, vous serez aussi heureuse qu’une femme peut l’être, et vous savez bien aussi qu’après ma mort vous serez assez riche pour que votre sort fasse envie à bien des femmes. Dans toutes les affaires que je fais depuis que j’ai eu le bonheur de vous parler, votre part se prélève, et vous avez un compte dans la Maison Nucingen. Dans quelques jours, vous entrez dans une maison qui, tôt ou tard, sera la vôtre, si elle vous plaît. Voyons, y recevrez-vous encore votre père en m’y recevant, ou serai-je enfin heureux ?…
Pardonnez-moi de vous écrire si nettement ; mais quand je suis près de vous, je n’ai plus de courage, et je sens trop que vous êtes ma maîtresse. Je n’ai pas l’intention de vous offenser, je veux seulement vous dire combien je souffre et combien il est cruel à mon âge d’attendre, quand chaque jour m’ôte des espérances et des plaisirs. La délicatesse de ma conduite est d’ailleurs une garantie de la sincérité de mes intentions. Ai-je jamais agi comme un créancier ? Vous êtes comme une citadelle, et je ne suis pas un jeune homme. Vous répondez à mes doléances qu’il s’agit de votre vie, et vous me le faites croire quand je vous écoute ; mais ici je retombe en de noirs chagrins, en des doutes qui nous déshonorent l’un et l’autre. Vous m’avez semblé aussi bonne, aussi candide que belle ; mais vous vous plaisez à détruire mes convictions. Jugez-en ? Vous me dites que vous avez une passion dans le cœur, une passion impitoyable, et vous refusez de me confier le nom de celui que vous aimez… Est-ce naturel ? Vous avez fait d’un homme assez fort un homme d’une faiblesse inouïe… Voyez où j’en suis arrivé ? je suis obligé de vous demander quel avenir vous réservez à ma passion après cinq mois ? Encore faut-il que je sache quel rôle je jouerai à l’inauguration de votre hôtel. L’argent n’est rien pour moi quand il s’agit de vous ; je n’aurai pas la sottise de me faire à vos yeux un mérite de ce mépris ; mais si mon amour est sans bornes, ma fortune est limitée, et je n’y tiens que pour vous. Eh ! bien, si en vous donnant tout ce que je possède, je pouvais, pauvre, obtenir votre affection, j’aimerais mieux être pauvre et aimé de vous que riche et dédaigné. Vous m’avez si fort changé, ma chère Esther, que personne ne me reconnaît plus : j’ai payé dix mille francs un tableau de Joseph Bridau, parce que vous m’avez dit qu’il était