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gonnais les Cartes ti Gommerce, et che zais tes baroles bir les vaire tisbaraîdre…

— Vous aurez dans Eugénie une fine mouche, dit Asie, c’est moi qui l’ai donnée à madame…

Che la gonnais, s’écria le millionnaire en riant. Ichénie m’a gibbé drende mille vrans…

Esther fit un geste d’horreur sur la foi duquel un homme de cœur lui aurait confié sa fortune.

Oh ! bar ma vôde, reprit le baron, che gourais abrès fûs…

Et il raconta le quiproquo auquel avait donné lieu la location de l’appartement à une Anglaise.

— Eh ! bien, voyez-vous, madame ? dit Asie, Eugénie ne vous a rien dit de cela, la rusée ! Mais, madame est bien habituée à cette fille-là, dit-elle au baron, gardez-la tout de même.

Asie reprit Nucingen à part et lui dit : — Avec cinq cents francs par mois à Eugénie, qui arrondit joliment sa pelote, vous saurez tout ce que fera madame, donnez-la-lui pour femme de chambre. Eugénie sera d’autant mieux à vous qu’elle vous a déjà carotté… Rien n’attache plus les femmes à un homme que de le carotter. Mais tenez Eugénie en bride : elle fait tout pour de l’argent, cette fille-là, c’est une horreur !…

Ed doi ?…

— Moi, fit Asie, je me rembourse.

Nucingen, cet homme si profond, avait un bandeau sur les yeux ; il se laissa faire comme un enfant. La vue de cette candide et adorable Esther essuyant ses yeux et tirant avec la décence d’une jeune vierge les points de sa broderie, rendait à ce vieillard amoureux les sensations qu’il avait éprouvées au bois de Vincennes : il eût donné la clef de sa caisse ! il se sentait jeune, il avait le cœur plein d’adoration, il attendait qu’Asie fût partie pour pouvoir se mettre aux genoux de cette madone de Raphaël. Cette éclosion subite de l’enfance au cœur d’un Loup-cervier, d’un vieillard, est un des phénomènes sociaux que la physiologie peut le plus facilement expliquer. Comprimée sous le poids des affaires, étouffée par de continuels calculs, par les préoccupations perpétuelles de la chasse aux millions, l’adolescence et ses sublimes illusions reparaît, s’élance et fleurit, comme une cause, comme une graine oubliée dont les effets, dont les floraisons splendides obéissent au hasard, à un soleil qui jaillit,