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— Est-il beau, Couture, est-il beau ! dit Bixiou à Blondet, il va demander qu’on lui élève des statues comme à un bienfaiteur de l’Humanité.

— Il faudrait l’amener à conclure que l’argent des sots est de droit divin le patrimoine des gens d’esprit, dit Blondet.

— Messieurs, reprit Couture, rions ici pour tout le sérieux que nous garderons ailleurs quand nous entendrons parler des respectables bêtises que consacrent les lois faites à l’improviste.

— Il a raison. Quel temps, messieurs, dit Blondet, qu’un temps où dès que le feu de l’intelligence apparaît, on l’éteint vite par l’application d’une loi de circonstance. Les législateurs, partis presque tous d’un petit arrondissement où ils ont étudié la société dans les journaux, renferment alors le feu dans la machine. Quand la machine saute, arrivent les pleurs et les grincements de dents ! Un temps où il ne se fait que des lois fiscales et pénales ! Le grand mot de ce qui se passe, le voulez-vous ? Il n’y a plus de religion dans d’État ! — Ah ! dit Bixiou, bravo, Blondet ! tu as mis le doigt sur la plaie de la France, la Fiscalité qui a plus ôté de conquêtes à notre pays que les vexations de la guerre. Dans le Ministère où j’ai fait six ans de galères, accouplé avec des bourgeois, il y avait un employé, homme de talent, qui avait résolu de changer tout le système des finances. Ah ! bien, nous l’avons joliment dégommé. La France eût été trop heureuse, elle se serait amusée à reconquérir l’Europe, et nous avons agi pour le repos des nations : je l’ai tué par une caricature !

— Quand je dis le mot religion, je n’entends pas dire une capucinade, j’entends le mot en grand politique, reprit Blondet.

— Explique-toi, dit Finot.

— Voici, reprit Blondet. On a beaucoup parlé des affaires de Lyon, de la République canonnée dans les rues, personne n’a dit la vérité. La République s’était emparée de l’émeute comme un insurgé s’empare d’un fusil. La vérité, je vous la donne pour drôle et profonde. Le commerce de Lyon est un commerce sans âme, qui ne fait pas fabriquer une aune de soie sans qu’elle soit commandée et que le paiement soit sûr. Quand la commande s’arrête, l’ouvrier meurt de faim, il gagne à peine de quoi vivre en travaillant, les forçats sont plus heureux que lui. Après la révolution de juillet, la misère est arrivée à ce point que les Canuts ont arboré