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n’en méprise pas l’argent. L’abbé se rendit chez Cérizet dans l’intention de le travailler à sa manière, car il se trouvait par hasard maître de tous les secrets de ce digne associé de d’Estourny. Le Courageux-Cérizet demeurait dans un entresol, rue du Gros-Chenet, et l’abbé, qui se fit mystérieusement annoncer comme venant de la part de Georges d’Estourny, surprit le soi-disant banquier pâle de cette annonce. L’abbé vit, dans un modeste cabinet, un petit homme à cheveux rares et blonds, et reconnut en lui, d’après la description que lui en avait faite Lucien, le judas de David Séchard.

— Pouvons-nous parler ici sans crainte d’être entendus ? dit l’Espagnol métamorphosé subitement en Anglais à cheveux rouges, à lunettes bleues, aussi propre, aussi net qu’un puritain allant au Prêche.

— Et pourquoi, monsieur ? dit Cérizet. Qui êtes-vous ?

— Monsieur William Barker, créancier de monsieur d’Estourny ; mais je vais démontrer la nécessité de fermer vos portes, puisque vous le désirez. Nous savons, monsieur, quelles ont été vos relations avec les Petit-Claud, les Cointet et les Séchard d’Angoulême…

À ces mots, Cérizet s’élança vers la porte et la ferma, revint à une autre porte qui donnait dans une chambre à coucher, la verrouilla ; puis il dit à l’inconnu : — Plus bas, monsieur !  Et il examina le faux Anglais en lui disant : — Que voulez-vous de moi ?… 

— Mon Dieu ! reprit William Barker, chacun pour soi, dans ce monde. Vous avez les fonds de ce drôle de d’Estourny… Rassurez-vous, je ne viens pas vous les demander ; mais, pressé par moi, ce fripon qui mérite la corde, entre nous, m’a donné ces valeurs en me disant qu’il pouvait y avoir quelque chance de les réaliser ; et, comme je ne veux pas poursuivre en mon nom, il m’a dit que vous ne me refuseriez pas le vôtre.

Cérizet regarda la lettre de change, et dit : — Mais il n’est plus à Francfort…

— Je le sais, répondit le faux Barker, mais il pouvait encore y être à la date de ces traites…

— Mais je ne veux pas être responsable, dit Cérizet…

— Je ne vous demande pas de sacrifice, reprit le faux Anglais ; vous pouvez être chargé de les recevoir. Acquittez-les, et je me charge d’opérer le recouvrement.