bien heureuses !… On lui passe tout, à celle-ci, parce qu’elle est née Ronquerolles, et que son mari a le pouvoir. — Mais, ma chère, a répondu l’autre dame, Lucien lui coûte cher… » Qu’est-ce que cela veut dire, papa ?
— C’est des bêtises, comme en disent les gens du monde, répondit Peyrade à sa fille d’un air de bonhomie. Peut-être faisaient-elles allusion à des événements politiques.
— Enfin, vous m’avez interrogée, je vous réponds. Si vous voulez me marier, trouvez-moi un mari qui ressemble à ce jeune homme-là…
— Enfant ! répondit le père, la beauté chez les hommes n’est pas toujours le signe de la bonté. Les jeunes gens doués d’un extérieur agréable ne rencontrent aucune difficulté au début de la vie, ils ne déploient alors aucun talent, ils sont corrompus par les avances que leur fait le monde, et il faut leur payer plus tard les intérêts de leurs qualités !… Je voudrais te trouver ce que les bourgeois, les riches et les imbéciles laissent sans secours ni protection…
— Qui, mon père ?
— Un homme de talent inconnu… Mais, va, mon enfant chéri, j’ai les moyens de fouiller tous les greniers de Paris et d’accomplir ton programme en présentant à ton amour un homme aussi beau que le mauvais sujet dont tu me parles, mais plein d’avenir, un de ces hommes signalés à la gloire et à la fortune… Oh ! je n’y songeais point ! je dois avoir un troupeau de neveux, et dans le nombre il peut s’en trouver un digne de toi !… Je vais écrire ou faire écrire en Provence !
Chose étrange ! en ce moment un jeune homme, mourant de faim et de fatigue, venant à pied du département de Vaucluse, un neveu du père Canquoëlle, entrait par la Barrière d’Italie, à la recherche de son oncle. Dans les rêves de la famille à qui le destin de cet oncle était inconnu, Peyrade offrait un texte d’espérances : on le croyait revenu des Indes avec des millions ! Stimulé par ces romans du coin du feu, ce petit-neveu, nommé Théodose, avait entrepris un voyage de circumnavigation à la recherche de l’oncle fantastique.
Après avoir savouré les bonheurs de sa paternité pendant quelques heures, Peyrade, les cheveux lavés et teints (sa poudre était un déguisement), vêtu d’une bonne grosse redingote de drap bleu