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cher, tel bourgeois est à tel autre ce que Raphaël est à Natoire. Madame veuve Desroches avait moyenné de longue main ce mariage, à son fils, malgré l’obstacle énorme que présentait un certain Cochin, fils de l’associé commanditaire des Matifat, jeune employé au Ministère des Finances. Aux yeux de monsieur et madame Matifat, l’état d’avoué paraissait, selon leur mot, offrir des garanties pour le bonheur d’une femme. Desroches s’était prêté aux plans de sa mère afin d’avoir un pis-aller. Il ménageait donc les droguistes de la rue du Cherche-Midi. Pour vous faire comprendre un autre genre de bonheur, il faudrait vous peindre ces deux négociants mâle et femelle, jouissant d’un jardinet, logés à un beau rez-de-chaussée, s’amusant à regarder un jet d’eau, mince et long comme un épi, qui allait perpétuellement et s’élançait d’une petite table ronde en pierre de liais, située au milieu d’un bassin de six pieds de diamètre, se levant de bon matin pour voir si les fleurs de leur jardin avaient poussé, désœuvrés et inquiets, s’habillant pour s’habiller, s’ennuyant au spectacle, et toujours entre Paris et Luzarches où ils avaient une maison de campagne et où j’ai dîné. Blondet, un jour ils ont voulu me faire poser, je leur ai raconté une histoire depuis neuf heures du soir jusqu’à minuit, une aventure à tiroirs ! J’en étais à l’introduction de mon vingt-neuvième personnage (les romans en feuilletons m’ont volé !), quand le père Matifat, qui en qualité de maître de maison, tenait encore bon, a ronflé comme les autres, après avoir clignoté pendant cinq minutes. Le lendemain, tous m’ont fait des compliments sur le dénoûment de mon histoire. Ces épiciers avaient pour société monsieur et madame Cochin, Adolphe Cochin, madame Desroches, un petit Popinot, droguiste en exercice, qui leur donnait des nouvelles de la rue des Lombards (un homme de ta connaissance, Finot !). Madame Matifat, qui aimait les Arts, achetait des lithographies, des lithochromies, des dessins coloriés, tout ce qu’il y avait de meilleur marché. Le sieur Matifat se distrayait en examinant les entreprises nouvelles et en essayant de jouer quelques capitaux, afin de ressentir des émotions (Florine l’avait guéri du genre Régence). Un seul mot vous fera comprendre la profondeur de mon Matifat. Le bonhomme souhaitait ainsi le bonsoir à ses nièces : « Va te coucher, mes nièces ! » Il avait peur, disait-il, de les affliger en leur disant vous. Leur fille était une jeune personne sans manières, ayant l’air d’une femme de chambre de bonne maison, jouant tant bien que mal une sonate,