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périeures, qui crurent avoir assisté à quelque opération magique, en comparant Esther à elle-même. L’enfant toute changée vivait. Elle reparut dans sa vraie nature d’amour, gentille, coquette, agaçante, gaie ; enfin elle ressuscita !

Herrera demeurait rue Cassette, près de Saint-Sulpice, église à laquelle il s’était attaché. Cette église, d’un style dur et sec, allait à cet Espagnol dont la religion tenait de celle des Dominicains. Enfant perdu de la politique astucieuse de Ferdinand VII, il desservait la cause constitutionnelle, en sachant que ce dévouement ne pourrait jamais être récompensé qu’au rétablissement du Rey netto. Et Carlos Herrera s’était donné corps et âme à la camarilla au moment où les Cortès ne paraissaient pas devoir être renversées. Pour le monde, cette conduite annonçait une âme supérieure. L’expédition du duc d’Angoulême avait eu lieu, le roi Ferdinand régnait, et Carlos Herrera n’allait pas réclamer le prix de ses services à Madrid. Défendu contre la curiosité par un silence diplomatique, il donna pour cause à son séjour à Paris, sa vive affection pour Lucien de Rubempré, et à laquelle ce jeune homme devait déjà l’ordonnance du Roi relative à son changement de nom. Herrera vivait d’ailleurs comme vivent traditionnellement les prêtres employés à des missions secrètes, fort obscurément. Il accomplissait ses devoirs religieux à Saint-Sulpice, ne sortait que pour affaires, toujours le soir et en voiture. La journée était remplie pour lui par la sieste espagnole, qui place le sommeil entre les deux repas, et prend ainsi tout le temps pendant lequel Paris est tumultueux et affairé. Le cigare espagnol jouait aussi son rôle, et consumait autant de temps que de tabac. La paresse est un masque aussi bien que la gravité, qui est encore de la paresse. Herrera demeurait dans une aile de la maison, au second étage, et Lucien occupait l’autre aile. Ces deux appartements étaient à la fois séparés et réunis par un grand appartement de réception dont la magnificence antique convenait également au grave ecclésiastique et au jeune poète. La cour de cette maison était sombre. De grands arbres touffus ombrageaient le jardin. Le silence et la discrétion se rencontrent dans les habitations choisies par les prêtres. Le logement d’Herrera sera décrit en deux mots : une cellule. Celui de Lucien, brillant de luxe et muni des recherches du confort, réunissait tout ce qu’exige la vie élégante d’un dandy, poète, écrivain, ambitieux, vicieux, à la fois orgueilleux et vaniteux, plein de négligence et souhaitant l’ordre, un de ces gé-