Esther lui prit la main et la baisa. Ce n’était plus une courtisane, mais un ange qui se relevait d’une chute.
Dans une maison célèbre par l’éducation aristocratique et religieuse qui s’y donne, au commencement du mois de mars de cette année, un lundi matin, les pensionnaires aperçurent leur jolie troupe augmentée d’une nouvelle venue dont la beauté triompha sans contestation, non-seulement de ses compagnes, mais des beautés particulières qui se trouvaient parfaites chez chacune d’elles. En France, il est extrêmement rare, pour ne pas dire impossible, de rencontrer les trente fameuses perfections décrites en vers persans sculptés, dit-on, dans le sérail, et qui sont nécessaires à une femme pour être entièrement belle. En France, s’il y a peu d’ensemble, il y a de ravissants détails. Quant à l’ensemble imposant que la statuaire cherche à rendre, et qu’elle a rendu dans quelques compositions rares, comme la Diane et la Callipyge, il est le privilège de la Grèce et de l’Asie-Mineure. Esther venait de ce berceau du genre humain, la patrie de la beauté : sa mère était juive. Les Juifs, quoique si souvent dégradés par leur contact avec les autres peuples, offrent parmi leurs nombreuses tribus des filons où s’est conservé le type sublime des beautés asiatiques. Quand ils ne sont pas d’une laideur repoussante, ils présentent le magnifique caractère des figures arméniennes. Esther eût remporté le prix au sérail, elle possédait les trente beautés harmonieusement fondues. Loin de porter atteinte au fini des formes, à la fraîcheur de l’enveloppe, son étrange vie lui avait communiqué le je ne sais quoi de la femme : ce n’est plus le tissu lisse et serré des fruits verts, et ce n’est pas encore le ton chaud de la maturité, il y a de la fleur encore. Quelques jours de plus passés dans la dissolution, elle serait arrivée à l’embonpoint. Cette richesse de santé, cette perfection de l’animal chez une créature à qui la volupté tenait lieu de la pensée doit être un fait éminent aux yeux des physiologistes. Par une circonstance rare, pour ne pas dire impossible chez les très jeunes filles, ses mains, d’une incomparable noblesse, étaient molles, transparentes et blanches comme les mains d’une femme en couches de son second enfant. Elle avait exactement le pied et les cheveux si justement célèbres de la duchesse de Berri, des cheveux qu’aucune main de coiffeur ne pouvait tenir, tant ils étaient abondants, et si longs, qu’en tombant à terre ils y formaient des anneaux, car Esther possédait cette moyenne taille qui permet de faire d’une