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— Il était triste d’aimer une fille comme vous, s’écria-t-il.

— Hélas ! il devait l’être, reprit-elle avec une humilité profonde, je suis la créature la plus méprisable de mon sexe, et je ne pouvais trouver grâce à ses yeux que par la force de mon amour.

— Cet amour doit vous donner le courage de m’obéir aveuglément. Si je vous conduisais immédiatement dans la maison où se fera votre éducation, ici tout le monde dirait à Lucien que vous vous êtes en allée, aujourd’hui dimanche, avec un prêtre ; il pourrait être sur votre voie. Dans huit jours, la portière, ne me voyant pas revenir, m’aura pris pour ce que je ne suis pas. Donc, un soir, comme d’aujourd’hui en huit, à sept heures, vous sortirez furtivement et vous monterez dans un fiacre qui vous attendra en bas de la rue des Frondeurs. Pendant ces huit jours évitez Lucien ; trouvez des prétextes, faites-lui défendre la porte, et, quand il viendra, montez chez une amie ; je saurai si vous l’avez revu, et, dans ce cas, tout est fini, je ne reviendrai même pas. Ces huit jours vous sont nécessaires pour vous faire un trousseau décent et pour quitter votre mine de prostituée, dit-il en déposant une bourse sur la cheminée. Il y a dans votre air, dans vos vêtements, ce je ne sais quoi si bien connu des Parisiens qui leur dit ce que vous êtes. N’avez-vous jamais rencontré par les rues, sur les boulevards, une modeste et vertueuse jeune personne marchant en compagnie de sa mère ?

— Oh ! oui, pour mon malheur. La vue d’une mère et de sa fille est un de nos plus grands supplices, elle réveille des remords cachés dans les replis de nos cœurs et qui nous dévorent !… Je ne sais que trop ce qui me manque.

— Eh ! bien, vous savez comment vous devez être dimanche prochain, dit le prêtre en se levant.

— Oh ! dit-elle, apprenez-moi une vraie prière avant de partir, afin que je puisse prier Dieu.

C’était une chose touchante que de voir ce prêtre faisant répéter à cette fille l’Ave Maria et le Pater noster en français.

— C’est bien beau ! dit Esther quand elle eut une fois répété sans faute ces deux magnifiques et populaires expressions de la foi catholique.

— Comment vous nommez-vous ? demanda-t-elle au prêtre quand il lui dit adieu.

— Carlos Herrera, je suis Espagnol et banni de mon pays.