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sort ou rentre, pour ne pas avoir de Coulage ! Les industriels des deux mondes souscriraient avec joie à un pareil accord avec ce génie du mal appelé Coulage. Eh ! bien, quoique la Statistique soit l’enfantillage des hommes d’État modernes, qui croient que les chiffres sont le calcul, on doit se servir de chiffres pour calculer. Calculons donc ? Le chiffre est d’ailleurs la raison probante des sociétés basées sur l’intérêt personnel et sur l’argent, et telle est la société que nous a faite la Charte ! selon moi, du moins. Puis rien ne convaincra mieux les masses intelligentes qu’un peu de chiffres. Tout, disent nos hommes d’État de la Gauche, en définitif, se résout par des chiffres. Chiffrons. (Le ministre cause à voix basse avec un député, dans un coin.) On compte environ quarante mille employés en France, déduction faite des salariés, car un cantonnier, un balayeur des rues, une rouleuse de cigares ne sont pas des employés. La moyenne des traitements est de quinze cents francs. Multipliez quarante mille par quinze cents, vous obtenez soixante millions. Et, d’abord, un publiciste pourrait faire observer à la Chine, à la Russie, où tous les employés volent, à l’Autriche, aux républiques américaines, au monde, que, pour ce prix, la France obtient la plus fureteuse, la plus méticuleuse, la plus écrivassière, paperassière, inventorière, contrôleuse, vérifiante, soigneuse, enfin la plus femme de ménage des Administrations connues ! Il ne se dépense pas, il ne s’encaisse pas un centime en France qui ne soit ordonné par une lettre, prouvé par une pièce, produit et reproduit sur des états de situation, payé sur quittance ; puis la demande et la quittance sont enregistrées, contrôlées, vérifiées par des gens à lunettes. Au moindre défaut de forme, l’employé s’effarouche, car il vit de ces scrupules. Enfin bien des pays seraient contents, mais Napoléon ne s’en est pas tenu là. Ce grand organisateur a rétabli les magistrats suprêmes d’une cour unique dans le monde. Ces magistrats passent leurs jours à vérifier tous les bons, paperasses, rôles, contrôles, acquits à caution, paiements, contributions reçues, contributions dépensées, etc., que les employés ont écrits. Ces juges sévères poussent le talent du scrupule, le génie de la recherche, la vue des lynx, la perspicacité des Comptes jusqu’à refaire toutes les additions pour chercher des soustractions. Ces sublimes victimes des chiffres renvoient, deux ans après, à un intendant militaire, un état quelconque où il y a une erreur de deux centimes. Ainsi l’administration française, la plus pure