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pas un conseil, ne faites rien sans son ordre. En trois mois Baudoyer quittera le Ministère ou destitué on déporté sur une autre plage administrative. Il ira à la Maison du Roi peut-être. Il m’est arrivé deux fois dans ma vie d’être ainsi couché sous une avalanche de niaiseries, j’ai laissé passer.

— Oui, dit Rabourdin, mais vous n’étiez pas calomnié, atteint dans votre honneur, compromis…

— Ah ! ah ! ah ! dit des Lupeaulx en interrompant le Chef de Bureau par un rire homérique ; mais c’est là le pain quotidien de tout homme remarquable dans le beau pays de France, et il y a deux manières de prendre la chose : ou d’être au-dessous, il faut plier bagage et s’en aller planter des choux ; ou d’être au-dessus et marcher sans crainte, sans même tourner la tête.

— Je n’ai pour moi qu’une seule manière de dénouer le nœud coulant que l’espionnage et la trahison m’ont mis autour du cou, reprit Rabourdin, c’est de m’expliquer immédiatement avec le ministre, et, si vous m’êtes aussi sincèrement attaché que vous le dites, vous pouvez me mettre face à face avec lui demain.

— Vous voulez lui exposer votre plan d’administration ?…

Rabourdin inclina la tête.

— Eh ! bien, confiez-moi vos plans, vos mémoires, et je vous jure qu’il y passera la nuit.

— Allons-y donc, dit vivement Rabourdin, car c’est bien le moins qu’après six ans de travaux j’aie la jouissance de deux ou trois heures pendant lesquelles un ministre du Roi sera forcé d’applaudir à tant de persévérance.

Mis par la tenacité de Rabourdin sur un chemin sans buissons où la ruse pût s’abriter, des Lupeaulx hésita pendant un moment et regarda madame Rabourdin en se demandant : — Qui triomphera de ma haine pour lui ou de mon goût pour elle !

— Si vous n’avez pas de confiance en moi, dit-il au Chef de Bureau après une pause, je vois que vous serez toujours pour moi l’homme de votre note secrète. Adieu, madame.

Madame Rabourdin salua froidement. Célestine et Xavier se retirèrent chacun de leur côté sans se rien dire, tant ils étaient oppressés par le malheur. La femme songeait à l’horrible situation où elle se trouvait vis-à-vis de son mari. Le Chef de bureau, qui se résolvait à ne plus remettre les pieds au Ministère et à donner sa démission, était perdu dans l’immensité de ses ré-