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s’animent.) Eh ! bien, qu’avez-vous, messieurs ? Ce que je vous ai dit est si vrai que vous pouvez aller voir les preuves de la plus infâme des délations chez le vertueux, l’honnête, l’estimable, probe et pieux Baudoyer, qui certes est incapable, lui ! du moins, de faire un pareil métier. Votre chef a inventé quelque guillotine pour les employés, c’est sûr, allez voir ! suivez le monde, on ne paie pas si l’on est mécontent, vous jouirez de votre malheur, GRATIS ! Aussi les nominations sont-elles remises. Les Bureaux sont en rumeur, et Rabourdin vient d’être prévenu que le ministre ne travaillerait pas avec lui aujourd’hui… Et, allez donc !

Phellion et Poiret demeurèrent seuls. Le premier aimait trop Rabourdin pour aller chercher une conviction qui pouvait nuire à un homme qu’il ne voulait pas juger ; le second n’avait plus que cinq jours à rester au bureau. En ce moment, Sébastien descendit pour venir chercher ce qui devait être compris dans les pièces à signer. Il fut assez étonné, sans en rien témoigner, de trouver le bureau désert.

PHELLION.

Mon jeune ami (il se lève, cas rare), savez-vous ce qui se passe, quels bruits courent sur môsieur Rabourdin, que vous aimez et (il baisse la voix et s’approche de l’oreille de Sébastien) que j’aime autant que je l’estime ? On dit qu’il a commis l’imprudence de laisser traîner un travail sur les Employés… (À ces mots Phellion s’arrête, il est obligé de soutenir dans ses bras nerveux le jeune Sébastien, qui devient pâle comme une rose blanche, et défaille sur une chaise.) Une clef dans le dos, môsieur Poiret, avez-vous une clef ?

POIRET.

J’ai toujours celle de mon domicile.

(Le vieux Poiret jeune insinue sa clef dans le dos de Sébastien, à qui Phellion fait boire un verre d’eau froide. Le pauvre enfant n’ouvre les yeux que pour verser un torrent de larmes. Il va se mettre la tête sur le bureau de Phellion, en s’y renversant le corps abandonné comme si la foudre l’avait atteint, et ses sanglots sont si pénétrants, si vrais, si abondants, que, pour la première fois de sa vie, Poiret s’émeut de la douleur d’autrui.)

PHELLION (grossissant sa voix).

Allons, allons, mon jeune ami, du courage ! Dans les grandes