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à laisser ce parti recruter les hommes d’un certain talent méconnus ? Savez-vous qu’il n’y a pas dans une nation plus de cinquante ou soixante têtes dangereuses, et où l’esprit soit en rapport avec l’ambition ? Savoir gouverner, c’est combattre ces têtes-là pour les couper ou pour les acheter. Je ne sais pas si j’ai du talent, mais j’ai de l’ambition, et vous commettez la faute de ne pas vous entendre avec un homme qui ne vous veut que du bien. Le Sacre a ébloui pour un moment, mais après ?… Après, la guerre des mots et des discussions recommencera, s’envenimera. Eh ! bien, pour ce qui vous concerne, ne me trouvez pas dans le Centre gauche, croyez-moi ! Malgré les manœuvres de votre préfet, à qui sans doute il est parvenu des instructions confidentielles contre moi, j’aurai la majorité. Le moment est venu de nous bien comprendre. Après un petit coup de Jarnac on devient quelquefois bons amis. Je serai nommé comte, et l’on ne refusera pas à mes services le grand-cordon de la Légion. Mais je tiens moins à ces deux points qu’à une chose où votre intérêt seul se trouve engagé… Vous n’avez pas encore nommé Rabourdin, j’ai eu des nouvelles ce matin, vous satisferez bien du monde en lui préférant Baudoyer…

— Nommer Baudoyer, s’écria le ministre, vous le connaissez.

— Oui, dit des Lupeaux, mais quand son incapacité sera prouvée, vous le destituerez en priant ses protecteurs de l’employer chez eux. Vous aurez ainsi pour vos amis une Direction importante à donner, ce qui facilitera quelque transaction pour vous défaire de quelque ambitieux.

— Je lui ai promis…

— Oui, mais je ne vous demande pas de changer aujourd’hui même. Je sais le danger de dire oui et non dans la même journée. Remettez les nominations, vous pourrez les signer après-demain. Eh ! bien, après-demain vous reconnaîtrez qu’il est impossible de conserver Rabourdin, de qui, d’ailleurs, vous aurez reçu une belle et bonne démission.

— Sa démission ?

— Oui.

— Pourquoi… ?

— Il est l’homme d’un pouvoir inconnu pour lequel il a fait l’espionnage en grand dans tous les Ministères, et la chose a été découverte par une inadvertance ; on en parle, les employés sont furieux. De grâce, ne travaillez pas aujourd’hui avec lui, laissez-