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garçons de bureau très-empressés, car les jours de signature tout est en l’air dans les Bureaux, et pourquoi ? personne ne le sait. Les trois garçons étaient donc à leur poste, et se flattaient d’avoir quelque gratification, car le bruit de la nomination de monsieur Rabourdin s’était répandu la veille par les soins de des Lupeaulx. L’oncle Antoine et l’huissier Laurent se trouvaient en grande tenue, quand, à huit heures moins un quart, le garçon du Secrétariat vint prier Antoine de remettre en secret à monsieur Dutocq une lettre que le Secrétaire-général lui avait dit d’aller porter chez le Commis principal à sept heures.

— Je ne sais pas comment cela s’est fait, mon vieux, j’ai dormi, dormi, que je ne fais que de me réveiller. Il me chanterait une gamme d’enfer s’il savait qu’elle n’est pas à son adresse ; au lieur que, comme ça, je lui soutiendrai que je l’ai remise moi-même chez monsieur Dutocq. Un fameux secret, père Antoine : ne dites rien aux employés ; parole ! il me renverrait, je perdrais ma place pour un seul mot, a-t-il dit ?

— Qu’est-ce qu’il y a donc dedans ? dit Antoine.

— Rien. Je l’ai regardée, comme ça, tenez.

Et il fit bâiller la lettre, qui ne laissa voir que du blanc.

— C’est aujourd’hui le grand jour pour vous, Laurent, dit le garçon du Secrétariat, vous allez avoir un nouveau directeur. Décidément on fait des économies, on réunit deux Divisions en une Direction, gare aux garçons !

— Oui, neuf employés mis à la retraite, dit Dutocq qui arrivait. Comment savez-vous cela, vous autres ?

Antoine présenta la lettre à Dutocq, qui dégringola les escaliers et courut au Secrétariat après l’avoir ouverte.

Depuis le jour de la mort de monsieur de La Billardière, après avoir bien bavardé, les deux Bureaux Rabourdin et Baudoyer avaient fini par reprendre leur physionomie accoutumée et les habitudes du dolce far niente administratif. Cependant la fin de l’année imprimait dans les Bureaux une sorte d’application studieuse, de même qu’elle donne quelque chose de plus onctueusement servile aux portiers. Chacun venait à l’heure, on remarquait plus de monde après quatre heures, car la distribution des gratifications dépend des dernières impressions qu’on laisse de soi dans l’esprit des chefs. La veille, la nouvelle de la réunion des deux divisions La Billardière et Clergeot en une Direction, sous une dénomi-