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de chacun une dernière et gracieuse impression, elle y réussit. Contre la coutume des salons, quand elle ne fut plus là, chacun s’écria : « La charmante femme ! » et le ministre la reconduisit jusqu’à la dernière porte.

— Je suis bien sûr que demain vous penserez à moi ? dit-il au ménage en faisant ainsi allusion à la nomination.

— Il y a si peu de hauts fonctionnaires dont les femmes soient agréables que je suis tout content de notre acquisition, dit le ministre en rentrant.

— Ne la trouvez-vous pas un peu envahissante ? dit des Lupeaulx d’un air piqué.

Les femmes échangèrent entre elles des regards expressifs, la rivalité du ministre et de son Secrétaire-général les amusait. Alors eut lieu l’une de ces jolies mystifications auxquelles s’entendent si admirablement les Parisiennes. Les femmes animèrent le ministre et des Lupeaulx en s’occupant de madame Rabourdin : l’une la trouva trop apprêtée et visant à l’esprit ; l’autre compara les grâces de la bourgeoisie aux manières de la grande compagnie afin de critiquer Célestine ; et des Lupeaulx défendit sa prétendue maîtresse, comme on défend ses ennemis dans les salons.

— Rendez-lui donc justice, mesdames ? n’est-il pas extraordinaire que la fille d’un commissaire-priseur soit si bien ! Voyez d’où elle est partie, et voyez où elle est : elle ira aux Tuileries, elle en a la prétention, elle me l’a dit.

— Si elle est la fille d’un commissaire, dit madame d’Espard en souriant, en quoi cela peut-il nuire à l’avancement de son mari ?

— Par le temps qui court, n’est-ce pas ? dit la femme du ministre en se pinçant les lèvres.

— Madame, dit sévèrement le ministre à la marquise, avec des mots pareils, que malheureusement la Cour n’épargne à personne, on prépare des révolutions. Vous ne sauriez croire combien la conduite peu mesurée de l’Aristocratie déplaît à certains personnages clairvoyants du Château. Si j’étais grand seigneur, au lieu d’être un petit gentilhomme de province qui semble être mis où je suis pour faire vos affaires, la monarchie ne serait pas aussi mal assise que je la vois. Que devient un trône qui ne sait pas communiquer son éclat à ceux qui le représentent ? Nous sommes loin du temps où le Roi faisait grands par sa seule volonté les Louvois, les Colbert, les Richelieu, les Jeannin, les Villeroy et les Sully… Oui,